Fallait-il hospitaliser cette enfant de 2 ans fébrile ?

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Fallait-il hospitaliser cette enfant de 2 ans fébrile ? - Cas clinique

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Une évolution sur 4 jours, deux visites à domicile, une consultation par téléphone, le généraliste et son remplaçant condamnés.

  • Médecin
Auteur : C. SICOT / MAJ : 23/05/2016

Cas clinique

  • Le lundi 16 décembre 2002, la mère d’une petite fille de 28 mois demande à son  médecin de famille de venir examiner celle-ci, car elle souffre d’une « forte » fièvre apparue la veille.
    • A  10h30, le praticien examine l’enfant  et  conclut  à une infection virale. Il prescrit  Coquelusédal-paracétamol ®250 mg et Advil® sirop, à renouveler. Ultérieurement, il déclarera ne pas avoir constaté de signes inquiétants et avoir dit à la maman de le rappeler si l’état de l’enfant ne s’améliorait pas.
    • A 21h00, la température monte à 40,7°C. La mère dit avoir suivi  scrupuleusement les consignes du médecin et veillé sa fille toute la nuit en lui donnant  régulièrement à boire. Au réveil, la température est toujours à 40 °C.
  • Le mardi 17 décembre, la grand-mère garde l’enfant dans la journée.
    • A 18h00, au retour de sa mère, l’enfant est toujours fiévreuse et refuse de s’alimenter.
    • Vers 20h30 l’enfant est couchée après une nouvelle prise médicamenteuse.  La fièvre a baissé.
    • A 24h00, minuit, l’enfant se réveille en pleurant  et est, à nouveau, fébrile.
    • Durant la nuit, se succèdent des périodes de veille et de sommeil agité.
  • Le mercredi 18 décembre, l’enfant reste fébrile, refuse de s’alimenter et ne veut pas qu’on la porte, ni qu’on la touche.
    • Le soir, elle vomit lors d’une tentative d’alimentation.
  • Le jeudi 19 décembre, elle vomit à nouveau à 04h00 et dit « avoir mal ».
    • Le médecin de famille est appelé à  05h00 du matin.
    • Il revoit l’enfant vers  07h15. Il constate qu’elle est affaiblie, toujours fébrile, avec une toux rauque. Il évoque une infection respiratoire avec laryngite et prescrit  un antibiotique Oroken® sirop, du Celestène en gouttes pour réduire l’inflammation des voies respiratoires et du Bronchokod® pour fluidifier les sécrétions. Lors de l’examen, l’enfant pleure mais ne se plaint d’aucune douleur particulière. Contrairement aux affirmations de la mère, le médecin dit ne pas se souvenir que l’enfant avait une posture anormale (dos « tordu »), ni que sa jambe droite était raide et gênait la marche. De même, la mère dit avoir insisté pour que sa fille soit hospitalisée,  mais le médecin aurai répondu que « non, c’est inutile, elle n’a rien ».
    • Lors de l’expertise, le médecin dira ne pas avoir gardé le souvenir de l’insistance particulière  de la mère pour solliciter une hospitalisation, ni pourquoi il s’y serait opposé.
    • Vers 13h30, la mère remarque des « marques bleues » dont l’étendue n’est pas précisée, sur la joue droite qui apparait gonflée. Elle les attribue au fait que l’enfant s’était mordue précédemment la joue à ce niveau en refusant de s’alimenter. La température est tombée 37 °C, ce qui a partiellement rassuré la maman qui a emmené sa fille au domicile de sa grand-mère, en début d’après-midi.
    • Le soir à son retour, le père propose d’emmener leur enfant à l’hôpital, la mère lui fait part des recommandations du généraliste, ce qui provoque un désaccord entre les parents.
    • Par la suite, l’alimentation reste difficile mais l’enfant n’est plus fébrile. Au cours de la nuit, survient un vomissement.
  • Le vendredi 20 décembre au matin,  l’enfant boit un biberon mais reste très irritable, refusant qu’on la touche et respirant  « de façon irrégulière ». Elle n’a pas de fièvre mais ne peut ni marcher, ni se tenir debout.
    • La mère rappelle le cabinet du médecin de famille.  En son absence, c’était son associé qui répond. La mère lui fait part de la situation et précise que le traitement prescrit n’a pas entraîné d’amélioration mais qu’au contraire, l’état de sa fille s’est dégradé. L’associé confirme le bien-fondé du traitement prescrit et malgré les « précisions » données, répond que la situation n’est pas inquiétante du moment que l’enfant boit « beaucoup ».  Il précise que les difficultés de la marche sont  « certainement le fait de courbatures, souvent observées en cas de fièvre ». Malgré la demande pressante de la mère, il répond qu’il ne peut pas passer rapidement et que, « de toute façon, il fallait laisser agir les antibiotiques pendant au moins 48  h». Il recommande de le rappeler si la situation ne s'améliore pas.
  • Peu après cet appel, la mère constate la présence de  deux petites « plaques bleues » au niveau d’une omoplate et du dos. Dans l’après-midi, l’enfant reste  très fatiguée et somnolente.
  • Vers 17h00 la mère essaie de jouer avec elle (puzzle). L’enfant reconnait les animaux, les met à leur place mais très rapidement se désintéresse du jeu.
  • A 18h00, à son retour, le père trouve sa fille très faible et hypotonique, la mère précise que sa tête était très inclinée sur son épaule. Ayant pris connaissance des notices des médicaments (notamment celle du Célestène® où il était précisé, faiblesse musculaire), elle interprète cette situation comme étant la conséquence du traitement.
  • A 19h00, alors que la mère recherchait le numéro personnel d’appel du généraliste en téléphonant  à une amie, la grand-mère constate des manifestations anormales : l’enfant a les yeux largement ouverts  avec des mouvements anormaux de la bouche, puis toute manifestation cesse. La mère appelle alors le SAMU et entreprend des manœuvres de réanimation poursuivies par l’équipe du SMUR rapidement sur les lieux mais l’enfant ne pouvait être ramenée à la vie.

Rapport de la levée de corps

 « (…) Trois heures après l’heure de la mort, étaient constatées des lésions de type ecchymotique, diffuses au niveau du dos, de la face postérieure des cuisses, des joues et des épaules associées à des tâches purpuriques au niveau de l’arcade sourcilière gauche, sur la face postérieure du coude droit et du bras gauche et la partie basse de l’hémithorax gauche.

Une ponction lombaire post mortem  recueillait 10 ml de liquide céphalo-rachidien clair « eau de roche », contenant de  nombreux Streptococcuspneumoniae, germe également retrouvé au niveau de la sphère rhinopharyngée. En revanche, l’examen du LCR ne retrouvait pas d’hyperleucocytose, ni d’hypoglycorachie importante (0,33 g/l ), ni d’hyperprotéinorachie (0,26 g/l) (…) ».

Le médecin légiste concluait à un purpura fulminans compliquant une méningite bactérienne à Pneumocoque.

Information judiciaire ouverte après signalement par le médecin du SMUR du décès suspect d’une enfant de deux ans au domicile de sa famille (20 décembre 2002). 

Analyse et jugement

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Expertise (juin 2004)

L’expert, professeur des universités, chef de service de médecine infantile indiquait que : « (…) Initialement, l’enfant avait été prise en charge correctement. L’aggravation des symptômes malgré les traitements d’abord symptomatiques de la fièvre, puis antibiotiques auraient dû inciter à davantage de prudence et à envisager une hospitalisation. Toutefois, les médecins consultés ont toujours dit à la mère de conduire l’enfant à l’hôpital ou de les rappeler si la situation devait s’aggraver (…) ». Concernant l’associé du généraliste qui n’avait pas vu précédemment l’enfant et n’avait que conforté les prescriptions de son confrère, l’expert se posait la question de savoir quels éléments lui avaient réellement été donnés et concluait sur les limites de la « médecine par téléphone ».

Il relevait, par ailleurs, que : « (…) Dans l’après-midi précédant le décès, l’état clinique s’était dégradé mais  la mère n’avait pas réagi aux nouveaux signes cliniques apparus avant 18 h (hypotonie, purpura), heure à laquelle elle avait tenté de joindre le généraliste… Il était possible qu’un examen réalisé le 20 décembre aurait pu permettre d’aboutir au diagnostic avant que le purpura fulminans ne s’installe de façon patente et ne soit suivi de l’évolution observée (…) »

Contre-Expertise

Le magistrat instructeur diligentait une contre-expertise confiée, également à un professeur des universités, chef de service de médecine infantile. Celui-ci affirmait que : « (…) Les deux  généralistes avaient commis une imprudence en récusant un recours à l’hôpital et en n’ayant jamais proposé aux parents une  hospitalisation…Toutefois, la gravité de la méningite laissait à penser qu’elle avait été fulminante avec une aggravation s’étant produite le dernier jour ou même, dans les dernières heures de la vie de l’enfant (…) »

S’agissant du médecin de famille, l’expert indiquait que : «(…) Lors de la visite du 19 décembre, l’angoisse des parents était certaine et que, même s’il n’avait pas constaté objectivement de signes d’aggravation, il n’avait pas pris en compte comme il aurait dû, l’angoisse de la mère. Un recours à l’hôpital pour avis aurait été prudent (…) »

S’agissant  de son associé, l’expert soulignait que : « (…) La consultation par téléphone demande une très grande prudence et une profonde expérience de la médecine du petit enfant. Il aurait été prudent de conseiller à la mère d’avoir  recours à l’hôpital pour une confirmation de ce qu’il lui avait dit par téléphone, dès lorsqu’il n’avait pas eu  la possibilité de voir et d’examiner l’enfant auparavant (…) »  

Ordonnance de Non-Lieu (juge d’instruction) (août 2005)

« (…) Les investigations réalisées au cours de l’information ne permettent pas de caractériser les faits d’homicide involontaire dénoncés… Le lien de causalité entre l’imprudence des médecins et le décès de l’enfant  n’est, pas établi, ni certain. En l’espèce, il s’agit d’un lien de causalité indirecte au sens de l’article 121-3  du Code pénal. Dans cette hypothèse, la faute doit  être caractérisée, manifestement délibérée et exposant la personne à un risque grave qui ne pouvait  être ignoré. Compte-tenu des différentes interventions des médecins sur un laps de temps relativement court, des éléments qu’ils ont pu recueillir, des traitements qu’ils ont prescrits, on ne peut considérer  qu’ils ont commis une faute d’imprudence caractérisée entraînant leur responsabilité pénale (…) »

Les parents de l’enfant faisaient appel de l’ordonnance de non-lieu.

Cour d’appel Chambre de l’instruction (février 2006)

Rejet de l’appel et confirmation de l’ordonnance de non-lieu

Les parents de l’enfant déposaient un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel Chambre de l’instruction.

Cour de Cassation (mai 2006)

« (…) Déclare le pourvoi NON ADMIS (…) »

 

Tribunal de grande instance (mai 2010)

Les magistrats estimaient qu’: « (…) Au vu des éléments qui leur avaient été fournis et des pièces produites, le médecin de famille n’avait pas commis de faute à l’occasion de la visite du 16 décembre dès lors qu’aucun signe ne permettait de poser le diagnostic de méningite à pneumocoque compliquée par un purpura fulminans…Ensuite, il n’est pas établi que, lors de sa visite du 19 décembre à 07 h du matin, ce médecin ait pu constater des symptômes d’une telle affection qui devait conduire au décès de l’enfant le 20 décembre vers 19h, soit que de tels symptômes n’étaient pas encore apparus, soit qu’il ait alors commis une faute de diagnostic (…) »

Compte-tenu du caractère fulgurant de l’infection qui avait entraîné le décès, le tribunal  jugeait, en définitif, que : « (…) Celui-ci ne pouvait être en lien direct avec une quelconque faute du médecin de famille ou de son associé (…) »

Déboutés de leurs demandes, les parents décidaient de faire appel de ce jugement

 

Cour d’appel (février 2014)

« (…) Attendu en l’espèce, que, même à supposer que les signes patents d’une méningite n’aient pas été présents lors de  l’examen du 19 décembre au matin, comme il le fait plaider et comme l’a retenu le tribunal, il apparait toutefois que le médecin de famille appelé en urgence dès 05 h du matin par la mère de l’enfant, affolée, et auquel les parents, qui n’étaient pas connus de lui comme particulièrement anxieux, relataient que l’état de l’enfant ne cessait d’empirer, a incontestablement commis une imprudence fautive, en n’orientant pas, par précaution l’enfant vers l’hôpital en vue à tout le moins de voir confirmer son diagnostic de bronchite aggravée et, le cas échéant, de faire bénéficier la fillette des investigations nécessaires qui auraient incontestablement permis d’établir le bon diagnostic.

Que cette imprudence est d’autant plus dommageable que le médecin qui aurait dû se poser la question de la possibilité d’une affection méningée, n’a pas pris l’initiative de prendre des nouvelles de sa petite patiente dans la journée du 20 décembre, voire de la visiter, à nouveau, ce qui, selon le premier expert, aurait pu permettre d’établir le diagnostic de méningite avant l’apparition du purpura fulminans…

Attendu que, quant à lui et en dépit de ses dénégations, l’associé du médecin de famille qui n’a pas pris la mesure de la gravité de la situation, n’a pas alerté son confrère dont il savait qu’il suivait l’enfant en traitement depuis le 16 décembre, a, comme ce dernier, commis une imprudence en ne recommandant pas l’hospitalisation immédiate de l’enfant dont il lui était assuré que l’état de santé allait en empirant alors qu’il n’était pas lui-même en mesure de se déplacer pour procéder à son examen clinique.

Que les fautes d’imprudence commises par les intimés sont donc caractérisées (…) »

Se fondant sur une publication médicale indiquant qu’en cas de purpura fulminans, la mortalité restait de 40% malgré les progrès de la réanimation, la cour  estimait que : « (…) La faute commise par le médecin de famille avait été à l’origine d’une perte de chance pour l’enfant de recevoir un traitement adapté à son état, évaluée  à 60%.

Compte-tenu de la rapidité de l’évolution de la maladie à forme fulminante, la perte de chance imputable à l’associé du médecin de famille ne sera retenue qu’à hauteur de 30% (…) »

Indemnisation de 48 000€.