Une erreur de diagnostic, un retard de décision de césarienne... et de graves conséquences : décès de la patiente et chez l'enfant, un état clinique d’infirmité motrice d’origine cérébrale avec retard de développement.
• Femme de 34 ans prise en charge en mai 2000 pour sa première grossesse par un gynéco-obstétricien. Le début de la grossesse est fixé par échographie au 22/02/2000 avec un terme prévu pour le 22/11/2000. La dernière prise de PA faite à 38 SA est normale (120/70 mmHg) comme les mesures antérieures. Toutes les recherches de protéinurie sont restées négatives, y compris la dernière faite à 37 SA.
• Le 17 novembre à 18h30, au terme de 40 SA, la patiente se rend à la clinique où elle doit accoucher. Elle souffre de céphalées et de douleurs abdominales depuis le matin. Elle est examinée par une sage-femme qui écrit sur le dossier médical «(…) vient pour des contractions utérines depuis hier soir, métrorragies=0, pertes liquidiennes=0, TV col postérieur, épais, 1doigt juste, présentation céphalique amorcée, RCF bon, 1 CU (contraction utérine) en 30 min. Retour au domicile avec consignes d’usage et une prescription de Spasfon® (…)» Aucune mesure de PA, ni recherche de protéinurie (en l’absence d’envie d’uriner de la patiente) n’étaient pratiquées.
• La patiente revient à la clinique dans la nuit, vers 02h20 (donnée inscrite rétrospectivement le lendemain matin), en fait à 01h37 d’après son mari. La sage-femme qui la reçoit - différente de celle l’ayant accueillie à 18h30 - écrit dans le dossier « (…) Douleurs abdominales - tout particulièrement sous forme de « barre épigastrique » - et maux de tête violents, depuis le matin. Dinamap : PA 160/105 mmHg. Monitorage : CU peu marquées, TV : en travail col 4cm, mince, souple, présentation céphalique, poche des eaux intacte. Mise en salle de travail à 02h20 ( …) ».
• A 02h25, la sage-femme appelle l’obstétricien de garde pour lui signaler l’admission d’une primipare et lui communiquer les chiffres tensionnels. L’obstétricien demande à la sage-femme de poser une perfusion de Nubain® et de Catapressan® (2 ampoules dans 250 ml : 10 gouttes par minute) et de faire effectuer le bilan biologique en urgence.
• A 02h59, l’obstétricien reçoit un deuxième appel de la sage-femme pour l’informer que la PA est à 228/128 mmHg et la dilatation cervicale à 8 cm. Il décide de se rendre à la clinique en demandant que l’anesthésiste de garde soit appelé.
• A 03h00, la poche des eaux est rompue. Le liquide amniotique est clair.
• A 03h20 L’obstétricien de garde, dont le domicile est distant d’environ 15 minutes de la clinique, arrive à la clinique, précédant de peu l’anesthésiste. Il déclarera ultérieurement « s’être trouvé en présence d’une patiente consciente avec des chiffres tensionnels élevés à 220/120 mmHg et des œdèmes importants des jambes. A l’examen, la dilatation était à 8 cm avec une tête en voie d’engagement. La patiente était perfusée. Le bilan biologique avait été prélevé mais ses résultats n’avaient pas encore été communiqués. » Ultérieurement, il s’avérera que les tests d’hémostase étaient normaux mais que la protéinurie était très augmentée à 80 g/l.
• L’anesthésiste et l’obstétricien disent « avoir discuté de l’intérêt de l’extraction par voie basse le plus rapidement possible. L’accommodation était bonne et le travail s’était fait rapidement ». Ils pensaient « pouvoir extraire l’enfant rapidement ».
• A 04h00, au moment où l’anesthésiste s’apprête à poser une péridurale, la patiente faisait une crise convulsive. Décision immédiate de césarienne par le gynéco-obstétricien, avec appel du pédiatre de garde et de deux infirmières en renfort.
• Mais la patiente n’arrive au bloc opératoire - situé à un étage différent de la salle de travail -, qu’à 04h30. La césarienne débute à 04h50. L’enfant nait à 05h00, soit une heure après la décision de césarienne. Elle pèse 2780 g. Son score de vitalité néonatal immédiat était de 7,8 et 10 respectivement à 1,5 et 10 minutes de vie. A noter que le RCF était resté normal de 02h18 à 04h00, horaire où était survenue une bradycardie brutale, contemporaine de la survenue de la crise convulsive.
• Après la césarienne, apparaissent des saignements utérins anormalement abondants en rapport avec d’importants troubles de l’hémostase confirmés par le laboratoire (CIVD probable). Après transfusion de 6 culots globulaires, de 2 flacons de PFC, de PPSB et de 3 unités de fibrinogène, il est décidé à 07h30 de transférer la patiente comateuse avec mydriase bilatérale aréactive, par le SAMU au CHR où elle est hospitalisée à 09h00.
• A l’admission, le tableau clinique est celui d’un choc hypovolémique majeur. Malgré la poursuite des transfusions, une embolisation des artères utérines, une hystérectomie d’hémostase et une nouvelle laparotomie, la patiente décède à 06h15.
• L’état de l’enfant qui, après l’extraction n’apparaissait pas très inquiétant, allait rapidement s’aggraver. A 5 heures de vie, il était noté « une irritation neurologique » avec un bébé algique à la manipulation et des salves d’agitation et « cri aigu ». L’enfant était, alors, transférée au CHR en service de néonatalogie. Dans les heures qui suivaient, survenait un état de mal convulsif qui ne cédait qu’après 48 heures de traitement par Gardénal et Dilantin®.
A l’âge de 11 ans, une expertise concluait à : « (…) Etat clinique d’infirmité motrice d’origine cérébrale avec retard de développement tout à fait caractéristique des séquelles d’une anoxo-ischémie périnatale. Tableau neurologique sévère associant : une grande hypotonie axiale, un syndrome pyramidal réalisant une tétraplégie spastique à prédominance droite avec hypertonie des membres inférieurs, rétractions tendineuses et retentissement orthopédique entraînant des déformations du bassin et des pieds ainsi qu’un important retard psychomoteur. Pronostic d’avenir très sévère avec nécessité d’une prise en charge permanente car l’acquisition d’une autonomie n’est pas envisageable. (…) »
Assignation déposée en juillet 2001 par le mari de la patiente en réparation de son préjudice et de celui subi par sa fille.
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Les deux experts, professeurs des universités, chefs de service de gynéco-obstétrique estimaient que : « la patiente était atteinte d’une HTA grave de fin de grossesse malgré un traitement conforme aux données de la science. Cette hypertension s’était compliquée d’une crise d’éclampsie qui nécessitait une réanimation adaptée et l’extraction de l’enfant, s’il était encore vivant. L’analyse du tableau clinique, de la succession de tous les gestes obstétricaux, du bilan biologique notamment des examens concernant l’hémostase, l’inefficacité de tous les traitements chirurgicaux et médicaux faisait évoquer, a posteriori, le diagnostic d’embolie amniotique. Seul, ce diagnostic pouvait expliquer une telle résistance des troubles biologiques à des conduites chirurgicales et de réanimation globalement bien conduites. Il était regrettable qu’une autopsie n’ait pas été conseillée à la famille car il n’y avait que l’examen anatomique des poumons qui aurait pu confirmer le diagnostic d’embolie amniotique. »
Ils étaient d’avis qu’aucun reproche ne pouvait être fait au gynéco-obstétricien qui avait suivi la grossesse. En revanche, l’absence de prise de PA et d’analyse d’urines (protéinurie, glycosurie) par la sage-femme qui avait accueilli la patiente lors de sa première venue à la clinique, constituait une négligence. La découverte de chiffres tensionnels élevés à 18h30 aurait vraisemblablement permis la mise en route d’un traitement anti-hypertenseur 7 heures plus tôt environ. Toutefois, il n’était pas certain que cette prise en charge précoce aurait permis d’éviter la crise d’éclampsie, la probable embolie amniotique ou les séquelles chez l’enfant. Mais les experts précisaient qu’il leur était impossible de chiffrer la perte de chance.
Par ailleurs, ils considéraient que la prise en charge de la patiente par la sage-femme le 18 novembre à 01h37 avait été conforme aux données de la science. Il en était, de même, du délai d’arrivée de l’obstétricien et de l’anesthésiste de garde ainsi que de leurs prises en charge et prescriptions respectives. Ils ajoutaient que, compte-tenu de la nécessité de traiter la crise d’éclampsie, de transférer la patiente de la salle d’accouchement au bloc opératoire, on pouvait considérer que le délai pour extraire l’enfant par césarienne était tout à fait normal. Ils concluaient également à l’absence de défaillance dans la gestion de la réanimation lors de la césarienne et, dans les suites, jusqu’au départ du SMUR puis, dans le service de réanimation du centre hospitalier.
Le tribunal se fondant sur le rapport d’expertise jugeait que la faute de négligence commise par la sage-femme salariée qui avait initialement accueilli la patiente, engageait la responsabilité de son employeur. Elle condamnait la clinique à réparer l’ensemble des préjudices découlant directement de cette faute.
Il désignait un nouvel expert pour déterminer la perte de chance de survie pour la mère et les conséquences chez l’enfant ainsi que pour évaluer les séquelles de celle-ci.
Indemnisation prévisionnelle de 17 500€.
La cour d’appel confirmait en tous points le jugement du tribunal de grande instance.
L’expert désigné, professeur d’université, chef de service de gynéco-obstétrique, - assisté d’un sapiteur pédiatre -, confirmait que la prise en charge de la sage-femme qui avait accueilli la patiente le 17 novembre à 18 h 30 n’avait pas été conforme aux pratiques attendues. « (…) Depuis le matin, cette dernière se plaignait de violents maux de tête et de douleurs épigastriques en barre. Chez une femme enceinte, ces signes sont caricaturaux de l’annonce d’une crise d’éclampsie. Ils obligent à mesurer la PA, à rechercher l’albumine dans les urines, enfin à hospitaliser la parturiente, au moins pour une surveillance, en pratique pour décider d’une naissance dans des délais brefs. Ce manquement aux bonnes pratiques a manifestement fait perdre des chances à la patiente d’éviter la crise convulsive dont elle-même mais aussi sa fille ont été victimes (…) ». Mais l’expert estimait qu’il n’était pas possible d’évaluer - comme il lui était demandé dans sa mission -, l’importance de cette perte de chance due à la faute de la sage-femme sans avoir analysé les interventions des autres protagonistes qui ont prodigué leurs soins à la patiente.
A son avis, la conduite de la sage-femme qui avait pris en charge la patiente lors de son retour à la clinique était, en tous points, conforme aux bonnes pratiques.
En revanche, l’expert posait la question de savoir s’il en avait été de même des conduites de l’obstétricien et de l’anesthésiste de garde. « (…) Dès le premier appel de la sage-femme (02h28), il n’était pas possible d’ignorer que la patiente était atteinte d’une pré éclampsie sévère, qu’elle risquait à tout moment une crise d’éclampsie et des troubles majeurs de l’hémostase. La seule chance pour la patiente d’éviter ces complications et, pour sa fille un handicap, était une décision de césarienne sans délai, au plus tard à 03h00. L’enfant devait naître au plus tard une demi-heure après, soit à 03h30. A ce moment, les tests d’hémostase étaient normaux mais la protéinurie incroyablement élevée, à 80 g/l, signait le caractère exceptionnellement sévère de la pré-éclampsie et le risque imminent d’une crise d’éclampsie.
L’obstétricien de garde aurait dû se rendre à la clinique dès le premier appel de la sage-femme. Il aurait pu constater par lui-même la rapide dégradation des chiffres tensionnels malgré l’administration de Catapressan®. Ce médicament n’a d’ailleurs jamais été considéré comme capable d’éviter une crise d’éclampsie. Il est seulement destiné à faire baisser la PA, mais il est sans effet sur les convulsions. Le seul médicament, éventuellement utile, et encore, est le sulfate de magnésium. En réalité, le seul vrai traitement aurait été la césarienne, pratiquée sans délai. Certes, la dilatation du col utérin était à 4 cm à 02h20 et à 8 cm à 03 00. Mais, chez une primipare dont le col utérin est dilaté à 8 cm, les délais jusqu’à la naissance, sont trop incertains pour prendre le risque d’un accouchement dans les 30 minutes suivantes. D’ailleurs, à 04h00, une heure après la dilatation du col notée à 8 cm, la tête fœtale n’était toujourspas engagée dans le bassin maternel. Sinon, on peut penser que l’obstétricien aurait extrait l’enfant par forceps et non à 05h00 par césarienne. Avec une césarienne décidée à 03h00, elle serait née à 03h30 et sans handicap. Toute décision de césarienne, largement justifiée, qui aurait fait naître l’enfant à n’importe quel moment avant la crise d’éclampsie de 04h00, lui aurait épargné l’asphyxie fœtale qui est à l’origine de son déficit neurologique. Il était difficile de comprendre pourquoi, prévenu à 02h25, l’obstétricien de garde n’était arrivé en salle de travail qu’à 03h30.
Il en allait différemment pour la survenue de la crise d’éclampsie chez la patiente. Autant une césarienne pratiquée avant 04h00 aurait évité le handicap de l’enfant, autant il n’était pas certain qu’une telle intervention eut certainement évité la survenue des convulsions chez la mère. Un tiers de crises d’éclampsie, en effet, commencent après la naissance. Mais il reste néanmoins vrai que, plus la césarienne est précoce, plus les risques de convulsions et de troubles de l’hémostase sont réduits. Il était, d’ailleurs, constant qu’à 03h00 , la coagulation était normale, que la césarienne pouvait être pratiquée sans risque particulier et qu’elle aurait alors permis à la patiente d’éviter les troubles de l’hémostase qui avaient été à l’origine de son décès. Devant ce tableau typique de pré-éclampsie, il était étonnant que le dosage des enzymes hépatiques n’ait pas été demandé. Quand ils commencent à s’élever, ces dosages ont une extrême valeur d’alarme sur les risques de troubles de la crase sanguine. Ils révèlent la constitution d’un HELLP Syndrome qui ajoute une gravité vitale particulière à la pré-éclampsie sévère et annonce, entre autres, l’imminence de troubles de l’hémostase. La seule chance d’éviter leur survenue était d’interrompre la grossesse sans délai. Mais il faut rappeler qu’un tiers des crises d’éclampsie surviennent ou se reproduisent après la naissance, y compris par césarienne et des HELLP Syndromes ou des troubles sévères de l’hémostase peuvent s’installer ou s’aggraver rapidement seulement après la naissance, essentiellement quand la césarienne a été trop tardive. Il n’était donc pas certain qu’une césarienne plus précoce aurait certainement mis la patiente à l’abri de la crise convulsive et des troubles de l’hémostase responsables de son décès. Mais plus la césarienne aurait été précoce, moins ces complications auraient été probables et/ou sévères (…) ».
En revanche, l’expert considérait que la prise en charge de la patiente par l’anesthésiste n’était pas critiquable de même que les soins prodigués au centre hospitalier.
Pour évaluer la perte de chance due à la faute de la sage-femme, l’expert estimait que « (…) S’il était certain qu’après avoir été correctement renseigné, dès le 17 novembre, par un examen conforme de la sage-femme, l’obstétricien aurait procédé à une césarienne beaucoup plus précoce et en dû temps, avant la crise d’éclampsie, la perte de chance, donc la responsabilité de la sage-femme, aurait été de 100%. La césarienne précoce aurait évité, à la fois, les troubles de la coagulation, le décès de la patiente et le handicap de l’enfant. Plus la césarienne était retardée, plus le risque d’accident inhérent à la pathologie augmentait pour la mère comme pour l’enfant, et donc, plus la responsabilité de la sage-femme se trouvait atténuée, jusqu’ à atteindre 25%. Une césarienne faite à 03h00 au plus tard aurait certainement évité le handicap de l’enfant, ainsi que les 2/3 des risques d’éclampsie pour la mère puisque 1/3 des risques d’éclampsie se produisent après l’accouchement/césarienne. Cette césarienne aurait également évité le décès de la mère puisque, à 03h00, les tests d’hémostase étaient normaux et que ce décès était dû à des anomalies de l’hémostase.
Même s’il n’a pas eu connaissance de l’état de la patiente lors de la consultation de la sage-femme le 17 novembre, les décisions de l’obstétricien n’ont pas été influencées par ce défaut d’information. Lors de son arrivée à la clinique le 18 novembre à 03h20, il déclarait avoir jugé alarmante la situation de la parturiente. Un délai de 50 minutes entre le premier appel de la sage-femme et l’arrivée à la clinique de l’obstétricien n’était pas conforme aux conditions de sécurité de la naissance. Au plus tard, c’est alors à 03h30 que devait se prendre la décision de césarienne. L’obstétricien avait préféré, compte tenu de la dilatation du col utérin à 8 cm, tenter un accouchement par voie basse. Mais il ne pouvait pas espérer une naissance dans un délai inférieur à 30 minutes. Il n’apparaissait pas, d’ailleurs, que la dilatation du col utérin ait progressé entre 03h20 et 04h00 quand était survenue la crise d’éclampsie. La bonne décision eut été de faire immédiatement transférer la patiente au bloc opératoireet de réévaluer la situation obstétricale au bloc.
Cependant, compte tenu de la brutalité, bien que prévisible, de survenue d’une crise d’éclampsie et de la situation obstétricale de la patiente qui pouvait laisser croire, mais à tort, à un accouchement proche, la perte de chance pour la patiente et sa fille, d’avoir évité les complications dont elles ont été victimes du fait de la prise en charge de l’obstétricien, n’est pas totale. On peut évaluer cette perte de chance à 66%. La responsabilité de la sage-femme (ayant reçu la patiente le 17 novembre) dans l’accident survenu étant de 2%, celle de l’obstétricien est de 7%. C’est sur une perte de chance de 66% de cette part de 75% de responsabilité que devront s’évaluer la part des préjudices imputables à l’obstétricien (…) »
L’état de santé de l’enfant ne sera pas consolidé avant l’âge de 18 ans, son déficit fonctionnel actuel est de 80% (…) ».