La crise suicidaire de la personne âgée est une situation difficilement détectable, et le passage à l’acte est très souvent agressif pour tous : les proches, mais aussi les soignants. Leur détection n’est pas chose aisée et doit être une préoccupation de tous les professionnels de santé pour une meilleure prévention.
Monsieur F, 88 ans, veuf depuis 1 ans, présente depuis quelques semaines des vertiges mal étiquetés, qui provoquent des chutes.
Sa dernière chute a généré une fracture complexe de l’épaule droite qui a nécessité une cure chirurgicale (pose d’une plaque vissée).
Le chirurgien a préconisé un séjour en service de rééducation (SSR) et de réadaptation avant un potentiel retour à son domicile. Le patient en a accepté le principe.
Lors de son séjour en SSR, il y eu deux autres chutes, sans conséquence pour son épaule opérée. L’équipe médicale a organisé un bilan "chute". Le patient présente dans ses antécédents un bloc auriculo-ventriculaire de haut degré qui a indiqué la pose d’un pacemaker. Mais aucun élément investigué n’a été contributif pour expliquer ces chutes répétées.
Devant cette incapacité de l’équipe médicale à expliquer ce contexte, il est décidé de rencontrer les enfants de Monsieur F. pour envisager avec eux l’avenir de leur père. Un retour à domicile, dans les mêmes dispositions qu’avant la chute ayant occasionné la fracture d’épaule, semble difficile.
Plusieurs solutions sont évoquées : un placement en institution ou un retour dans sa maison avec des aides à domicile adaptées. Les enfants évoquent le sujet avec leur papa, mais ce dernier refuse d’en parler : il souhaite rentrer chez lui et reprendre sa vie comme avant.
Mais sa rééducation n’a pas permis de retrouver un niveau d’autonomie suffisant pour rester seul. L’équipe médicale lui explique alors que son séjour ne pourra être prolongé et lui propose un séjour en EHPAD de quelques semaines avant un retour possible à domicile. Il pourrait parfaire sa rééducation avec des séances avec un kinésithérapeute en institution.
Monsieur F. accepte avec beaucoup de réticence, cédant devant l’insistance de ses enfants qui sont domiciliés à plus d’une heure de voiture de leur papa.
Il est transféré en EHPAD comme prévu. Les semaines s’enchainent, et malgré les demandes répétées du résident, il reste en Institution car il ne récupère pas comme espéré.
Monsieur F. a verbalisé son mal-être à plusieurs reprises… Plusieurs semaines après son arrivée, l’équipe de jour ne retrouve pas le résident dans sa chambre. La fenêtre est ouverte, Monsieur F. a manifestement enjambé la fenêtre. Il est tombé du second étage… Il n’a pu être réanimé par le SMUR appelé sur les lieux…
Ce drame a choqué l’ensemble des professionnels de cet établissement. Une cellule psychologique a été mise en place le jour même de l’événement.
L’équipe de direction a souhaité qu’une analyse soit réalisée pour comprendre la genèse de ce geste irrémédiable afin d’identifier les éléments qui auraient pu être détectés ou pas…
La structure régionale d’appui (SRA) a été sollicitée pour réaliser cette mission, au motif qu’il fallait des personnes neutres pour éviter les jugements, les conclusions hâtives et les potentiels conflits d’intérêt.
Le directeur de la SRA a proposé de composer un binôme : un expert en prévention des risques et un expert en géronto-psychiatrie. Cette proposition a été retenue par l’établissement demandeur.
Une analyse de risque à postériori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments qui concernent cet Événement Indésirable Grave (EIG) ont été pris en considération.
La SRA a proposé la méthode ALARM pour investiguer. Cette proposition a été validée par l’équipe de direction qui avait déjà travaillé avec cet outil de gestion des risques a posteriori.
Cause immédiate
C’est l’équipe soignante de jour qui a découvert le corps du résident lors de leur première tournée de soins.
Cause profonde
En résumé
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Le groupe de parole organisé pour les professionnels de santé de cette institution, dans les suites immédiates de ce drame, a mis en évidence leur volonté d’éviter à tout prix qu’un tel événement ne survienne de nouveau.
Ce constat est partagé par les 2 experts mandatés par la SRA pour réaliser l’analyse de cet Événement Indésirable Grave (EIG).
C’est pour ces raisons que le plan d’actions proposé a suscité l’adhésion d’une très grande majorité de soignants.
Dans le cadre de la formation, il a été décidé de proposer aux soignants des formations sur cette thématique, formation organisée dans la dynamique d’un projet institutionnel pour tous les professionnels intervenant autour de la personne âgée sans aucune exception.
Il a été convenu de retenir l’échelle RUD (Risque Urgence Dangerosité) comme outil de repérage de ce risque. Cette échelle permet d’évaluer 3 types de facteurs :
En pratique, il conviendra de détecter et recueillir les informations liées à la situation du résident :
C’est souvent l’addition de plusieurs facteurs qui peut provoquer un passage à l’acte.
Cette évaluation doit reposer sur plusieurs piliers. C’est l’addition des informations recueillies qui permettra d’avoir une évaluation pertinente. Elle s’appuiera sur :
Toutes les informations sont importantes et chaque professionnel doit les partager en équipe pour que le filet de protection du résident face au risque suicidaire soit efficace.
Ce protocole a comme objectif principal de construire une démarche de prévention autour du résident, pour mieux identifier les situations et les personnes à risques de passage suicidaire.
Trop souvent démunies, les équipes soignantes doivent pouvoir trouver dans ce document les grandes lignes d’une conduite à tenir, et surtout de fixer des orientations communes pour travailler collectivement dans le même sens.
La communication au sein des équipes sera primordiale pour une plus grande efficacité dans la prévention du risque suicidaire. Des temps de bilan hebdomadaire seront institués pour une mise en commun des informations recueillies auprès du résident.
De manière générale, les informations de chaque professionnel de santé seront centralisées dans le même dossier. Le paramétrage de ce dossier sera revu pour que chaque rubrique métier soit accessible aux autres professionnels mais sans possibilité d’être modifié (statut lecture seule). Décision est donc prise de fonctionner en dossier résident partagé.
Il a été également décidé de constituer un groupe de travail afin de rédiger ce protocole à partir des professionnels qui auront bénéficié du cursus de formation continue proposé par l’Institution. Ce groupe sera composé de tous les métiers évoluant autour du résident pour plus d’exhaustivité dans la recherche d’informations.
Le suicide ou "meurtre de soi-même" est souvent une mort violente. En France, un peu moins de 10 000 personnes décèdent par suicide, et près d’un tiers concerne les plus de 65 ans.
Ces quelques données montrent que le risque en EHPAD doit être pris en considération car si la première victime reste le résident et ses proches, il ne faut pas ignorer les impacts que cela peut avoir sur les soignants en tant que seconde victime (sentiment de culpabilité…).
Très difficile à identifier, le risque suicidaire peut dans certains cas être malgré tout détecté et permettre la mise en œuvre de mesures de prévention.
La communication au sein des équipes est un des piliers de cette politique de prévention. Les temps d’échanges sont donc à favoriser pour permettre le partage d’informations autour de la personne prise en charge.