Tout professionnel de santé à l’origine d’une erreur peut générer un événement indésirable grave (EIG). Même les erreurs considérées comme administratives peuvent compromettre la sécurité d’une prise en charge. La recherche des facteurs ayant contribué à générer un EIG doit être réalisée pour être partagée avec tous les acteurs de soins pour éviter toute répétition…
M. S. âgé de 82 ans, a bénéficié d’un triple pontage coronarien 12 ans auparavant. 5 ans plus tard, il a présenté une fibrillation auriculaire qui a contraint le cardiologue à instaurer un traitement par anticoagulant oral – Anti-Vitamine K ou AVK. Le patient est stable depuis plusieurs années hormis quelques adaptations de posologies des AVK.
Le patient est très observant des conseils et prescriptions médicales : il bénéficie d’un suivi cardiologique tous les 6 mois et il consulte son médecin traitant tous les mois avec la réalisation d’un INR pour vérification de la cible thérapeutique (entre 2 et 3). Le patient appelle son médecin traitant pour lui expliquer qu’il constate depuis 24 heures l’émission de selles noires diarrhéiques et nauséabondes. Le praticien lui demande de passer au cabinet pour récupérer une ordonnance et faire un INR de contrôle au plus vite, ainsi qu’une numération globulaire. Ce qu’il fait…
Au laboratoire de biologie médicale (LBM), la secrétaire vérifie les coordonnées du médecin traitant et du patient. Elle précise que les résultats seront envoyés par voie électronique au praticien et demande au patient comment il souhaite recevoir les résultats. Ce dernier demande un envoi par voie postale car il ne maîtrise pas les techniques de communication moderne.
Deux jours passent, il rappelle son médecin traitant pour signaler que les selles noires sont de plus en plus abondantes et surtout, qu’il se sent très fatigué. Il précise également qu’il a reçu les résultats du LBM, qu’il constate que l’INR est à 5,5 et que ce résultat l’inquiète. Il s’étonne de n’avoir pas été recontacté par le médecin.
L’assistante médicale alerte le praticien immédiatement. Ce dernier rappelle M. S. aussitôt et lui demande de se rendre aux urgences sans tarder car la numération globulaire montre une hémoglobine qui a baissé d’un gramme par rapport au précédent bilan et lui précise qu’il a prévenu l’urgentiste de son arrivée.
Les résultats d’examens de laboratoire seront retrouvés dans le dossier des documents à valider d’un autre médecin du cabinet…
À son arrivée aux urgences, l’infirmière d’accueil et d’orientation (IAO) réalise l’entretien d’accueil et lui prend les premières constantes : fréquence cardiaque à 110 bpm, tension artérielle à 100/55 mm de Hg. Le patient lui précise qu’il a 130 à 140 mm de Hg de maxima d’habitude et qu’il est un peu plus fatigué qu’à l’accoutumée.
Le patient est installé en box de consultation, et le médecin urgentiste vient faire le point de la situation. Lors de l’interrogatoire médical, le praticien note la présence de selles noires et nauséabondes depuis près de 4 jours.
Le médecin urgentiste explique qu’il suspecte une hémorragie digestive basse. Il propose au patient de refaire un bilan biologique pour écarter une anémie aiguë pouvant expliquer l’asthénie et un nouveau dosage de l’INR ; ce que le patient accepte.
Les résultats du bilan biologique montrent une anémie à 8,5 g / dL et un INR à 5,3. L’urgentiste demande un avis spécialisé auprès de son confrère gastro-entérologue en suggérant une coloscopie de dépistage. Le gastro-entérologue de garde confirme l’indication. Le patient est transféré en médecine pour surveillance et équilibration de son traitement anticoagulant. L’examen invasif est planifié le lendemain en fin de matinée.
L’adaptation du traitement est réalisée en service de médecine et M. S. bénéficie d’une transfusion de 2 concentrés de globules rouges (CGR) avant la réalisation de la coloscopie et un CGR supplémentaire le lendemain. L’examen d’endoscopie digestive objective un gros polype pédiculé du colon droit d’au moins 20 mm qui saigne et qui explique la déglobulisation. Le praticien propose d’essayer une exérèse par voie endoscopique dès que le bilan d’hémostase le permettra.
M. S. bénéficie donc d’une polypectomie et d’une transfusion d’un CGR supplémentaire, et reste en surveillance pendant 7 jours avant son retour à domicile.
L’anatomopathologie du polype objective un polype précancéreux qui nécessitera une surveillance endoscopique.
Cette erreur, classée comme événement indésirable grave (EIG), a eu comme conséquences :
Même si cette erreur de administrative de classement a été atténuée par une bonne réactivité du praticien dans les suites de l’appel téléphonique du patient et par une excellente prise en charge hospitalière, elle a été difficile à accepter par les professionnels du cabinet médical. L’annonce de cet événement indésirable a généré un fort sentiment de culpabilité.
Devant ces éléments, le médecin généraliste souhaite comprendre la genèse de cet EIG. Il contacte la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) car il connait un collègue qui a suivi une formation en prévention des risques et qui a déjà réalisé plusieurs analyses d’événement de ce type.
L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents tracés dans le dossier pharmaceutique de la patiente en officine.
C’est l’appel du patient à son médecin traitant qui a permis de mettre en évidence cette erreur de classement administratif.
Les conséquences de cet Événement Indésirable Grave (EIG) pour le patient ont été médicalement maîtrisées :
Néanmoins, on recense :
Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Les interruptions de tâches (IT) constituent une thématique reconnue comme essentielle par la Haute Autorité de Santé dans l’approche sécuritaire des organisations de soins.
Les professionnels de santé perçoivent l’IT comme une normalité dans le quotidien professionnel. Quelle que soit la source de ces IT, elles affectent l’attention, peuvent générer du stress, et des erreurs de toutes sortes, et les erreurs administratives ne sont pas épargnées.
C’est en équipe que cette prise de conscience doit se faire, et ensemble trouver les solutions pour les minimiser.
Les organisations établies peuvent être mises en difficulté par un déficit de ressources humaines. Les modes dégradés induisent très souvent des difficultés de fonctionnement.
Ce constat s’impose pour tout type d’organisations et doit, chaque fois qu’il est rencontré, permettre la mise en place de barrières de sécurité adaptées.
Les praticiens ont pris la décision de s’équiper d’une application logicielle pour la prise de rendez-vous par internet. Un point à 3 mois sera fait pour en apprécier l’impact.
Il est convenu que l’assistante médicale fera un point en début de chaque journée des dossiers d’examens à exploiter par les praticiens pour vérifier si ceux-ci ont bien bénéficié d’un traitement quotidien, même les dossiers de praticiens absents pour une journée de repos ou pour une période plus longue.
L’approche systémique dans la construction d’une organisation est indispensable.
La bonne connaissance des risques doit éviter leur répétition, et ce pour tous les métiers impactés par la dynamique de sécurité en santé.
Le recueil des événements indésirables et leur analyse quelle que soit la nature de la structure de soins doit permettre d’améliorer la qualité et la sécurité.