Les erreurs médicamenteuses représentent un nombre important d’Événements Indésirables Graves (EIG), quel que soit le secteur de soins. Les experts estiment le nombre de décès en France liés à ce type d’accident à plus de 10 000 par an. Très souvent, ces EIG pourraient être évités. Le facteur humain est souvent à l’origine de ces erreurs. Il convient d’être tous vigilants pour diminuer drastiquement leur fréquence.
La fille de Madame A., 72 ans au moment des faits, appelle le 15, car sa maman présente un essoufflement important. Le médecin régulateur lui conseille d’aller aux urgences sans tarder. Le bilan mettra en évidence une embolie pulmonaire lobaire inférieure droite.
Cette jeune retraitée ne présente pas d’antécédent médical et signale comme seuls antécédents chirurgicaux une appendicectomie dans l’enfance et une césarienne pour la naissance de sa fille unique (indiquée par une présentation par le siège).
Elle est suivie depuis 8 ans par son médecin traitant (MT) pour les pathologies saisonnières uniquement.
Fin août, elle le consulte pour une douleur du membre inférieur gauche, plus précisément au mollet, avec un placard évoluant du bleu au rouge jusqu’à la racine de la cuisse. Cette lésion évoluerait depuis près d’une semaine. La patiente ayant 2 chats, elle précise qu’elle a été griffée il y a quelques jours.
Le MT évoque une veinite, mais demande un échodoppler, prescrit une sérologie de la maladie des griffes du chat et une sérologie de la maladie de Lyme. Les 2 sérologies reviendront négatives.
L’examen mettra en évidence une thrombose veineuse superficielle étendue grande et petite saphène jusqu’en région inguinale.
Le médecin angiologue prescrit le port d’une contention élastique par collant classe 2, un traitement anticoagulant d’Arixtra® 7,5 mg et une antibiothérapie par amoxicilline 1 g matin et soir pendant 10 jours. Elle doit revoir son MT.
Dès la fin de la consultation, elle se rend immédiatement à la pharmacie de secteur et est prise en charge par une préparatrice en pharmacie qui lui délivre son traitement.
Elle contacte l’infirmier libéral à proximité de son domicile pour lui demander de lui administrer ce traitement parentéral. Le traitement sera administré le soir même. Elle va bénéficier de ce traitement pendant près de 14 jours…
Pendant cette période de traitement, la patiente ne note pas d’amélioration sur le plan clinique : la jambe reste inflammatoire. Elle reconsulte le médecin spécialisé en angiologie, qui réalise un nouveau échodoppler qui est rassurant : "le caillot commence à diminuer"…
Il prescrit la poursuite du traitement anticoagulant pendant 45 jours à la dose de 7,5 mg. La patiente ayant perçu une dotation initiale pour un traitement pour 30 jours, elle temporise l’achat de la suivante…
À partir du 22e jour de traitement, la patiente va ressentir une asthénie de plus en plus importante, et ensuite des difficultés à respirer…
Le 24e jour, elle ressent une violente douleur thoracique et une dyspnée plus intense. Elle appelle sa fille, qui se rend à son domicile rapidement. Devant le tableau clinique de sa maman, elle appelle le 15 et, après une description de la situation, le médecin régulateur lui conseille de la faire consulter un service d’urgences rapidement, ce qu’elle fait.
À son arrivée, elle est prise en charge immédiatement par l’infirmière d’accueil et d’orientation qui, au vu des paramètres cliniques, l’installe dans un box, débute une oxygénothérapie (SPO2 à 87 %) et alerte le médecin urgentiste qui la prend en charge immédiatement.
Il demande une série d’examens qui mettent en évidence :
La patiente est alors orientée en Unité de Surveillance Continue (USC) où l’oxygénothérapie est poursuivie, et un traitement anticoagulant réajusté : Xarelto® 15 mg deux fois par jour pendant 3 semaines, puis 20 mg une fois par jour.
Pendant l’hospitalisation de Mme A., en cherchant le reste du traitement de sa maman pour le rendre à la pharmacie (le traitement ayant changé), sa fille retrouve l’ordonnance et les médicaments et s’aperçoit que les boites d’Arixtra® restantes (dosées à 2,5 mg/0,5 ml) ne correspondent pas à la prescription lue sur l’ordonnance, à savoir Arixtra® 7,5 mg.
Elle le signale au médecin réanimateur. Cet élément est pris en compte par le praticien, mais ce dernier lui précise que des investigations seront réalisées pour essayer de comprendre l’origine de cette thrombose.
Devant les impacts de cet événement indésirable grave (EIG), la patiente décide donc de déposer une demande d’indemnisation via sa protection juridique.
Les éléments recueillis au cours de l’expertise contradictoire et ceux trouvés lors de la lecture du dossier sont présentés selon la méthode REMED, proposée par la Société Française de Pharmacie Clinique, recommandée par la Haute Autorité de Santé.
Pour cette analyse, les outils suivants ont été choisis :
Caractérisation de l'EM |
Diagnostic des causes8 domaines de facteurs contributifs : |
Les facteurs contributifs retenus et leurs justifications :
La notion de médicament à risques doit être prise en compte avec plus de force par la médecine de ville. Certains médicaments à risques recensés dans les 12 "Never Events" de l’ANSM peuvent servir de base pour leur identification. Les anticoagulants en font indéniablement partie.
Des barrières de sécurité simples et efficaces doivent être appliquées, comme le double contrôle :
En officine de ville
Le double contrôle pour les médicaments à risques doit permettre de réduire très sensiblement les erreurs de délivrance. Ce double contrôle doit pouvoir s’organiser dès que 2 professionnels de santé sont présents sur le même créneau horaire, quelle que soit la qualification du professionnel.
Dans les soins à domicile
Le professionnel très souvent seul doit organiser son double contrôle :
Le Dossier Médical Partagé (DMP) doit être développé pour favoriser le partage des données de santé d’un patient. Cette communication indirecte entre professionnels de santé doit permettre de mieux comprendre la situation clinique du malade.
Enfin, le partage de retours d’expérience sur les erreurs recensées pour toutes les thématiques touchant la sécurité des soins doit être organisé, déployé et pérennisé pour la médecine de ville pour sensibiliser les acteurs de santé. Les initiatives prises sur ce sujet par certains groupes de professionnels doivent servir d’exemples.
En conclusion
La prévention des risques doit être une préoccupation constante pour tous les acteurs de santé. Les conséquences d’une erreur médicamenteuse, quel que soit le lieu de soins, peuvent être importantes et mettre en jeu le pronostic vital du malade.
Les barrières de sécurité sont souvent simples à mettre en œuvre, et il convient de rester rigoureux dans leur application.