Mr M., 82 ans, est hospitalisé dans un service d’orthopédie-traumatologie pour une fracture du col du fémur. Un manque de communication entre une étudiante infirmière et l'infirmière entraîne une erreur d'administration de médicaments.
Mr M., 82 ans, est hospitalisé dans un service d’orthopédie-traumatologie pour une fracture du col du fémur. Une intervention est indiquée (pose d’un clou gamma), et programmée le lendemain matin, fin de matinée.
Le médecin anesthésiste passe pour réaliser la consultation pré-opératoire. L’examen du traitement habituel du patient montre la prise régulière de PREVISCAN*.
L’arrêt de ce médicament est prescrit, ainsi que l’administration de vitamine K. Un contrôle de l’INR est prescrit le lendemain à 6h00 pour confirmer la réalisation de l’intervention chirurgicale.
Le lendemain, le bilan sanguin est réalisé, et le résultat à 7h30 montre un résultat à 1,1. Il est transmis au médecin anesthésiste de garde, qui confirme la faisabilité de l’intervention.
Lors du tour du matin, débuté à 8h30, l’infirmière en charge du secteur où se trouve le malade est avec une étudiante infirmière de 2° année. Elles entrent dans la chambre :
A 10h00, le bloc appelle le service, pour demander de prémédiquer Mr M. (anxiolytique). C’est à ce moment que l’infirmière retrouve dans la chambre les deux piluliers, et surtout les médicaments qu’elle avait préparés lors du tour du matin. Elle questionne l’étudiante, et ensemble elles comprennent l’erreur d’administration.
L’incident est signalé au médecin anesthésiste. La décision est prise de reporter l’intervention au lendemain.
L’équipe médicale et la cadre du service ont souhaité une analyse dans le cadre d’une démarche de gestion des risques, car sans la mise en évidence de cette erreur, le pronostic vital du patient pouvait être mis en jeu.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient. Recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.
Une analyse de risque à postériori est donc décidée : pour comprendre les mécanismes de cet événement indésirable, et avec restitution des conclusions de cette analyse lors d’une réunion collégiale. Analyse et restitution sont effectuées par le gestionnaire de risques de l’établissement.
Facteurs contributifs :
Le service compte 30 lits d’hospitalisation ; 21 étaient occupés par un(e) patient(e).
L’équipe paramédicale était au complet ; aucune absence n’était à déplorer.
La charge de travail était moyenne, par rapport à l’activité habituelle.
3 patients étaient planifiés pour une intervention au bloc opératoire (1 programmée – 2 urgences).
L’infirmière en charge du patient, a été interrompue dans la réalisation de son soin, et l’a donc confié à l’étudiante. Elle a été appelée par un chirurgien qui voulait refaire le pansement d’un de ces patients immédiatement.
La cadre était absente (formation). Personne n’était prévu pour réaliser les tâches de vérification des planifications de soins, de la planification des examens complémentaires, du suivi de la visite du matin par le chirurgien prévu … (travail de coordination).
L’ambiance générale de travail était bonne, car au vu du nombre de patients présents dans le service, il n’y avait aucun débordement à signaler.
On peut néanmoins noter que la transmission entre l’infirmière et l’étudiante n’était pas optimale : car elle voulait répondre à la demande du chirurgien, le niveau de précision était insuffisant. Il devait normalement s’agir d’une délégation contrôlée. Autrement dit l’infirmière, qui reste responsable de l’acte, aurait dû vérifier dès que possible la conformité de l’acte demandé à l’élève
L’équipe paramédicale est une équipe renouvelée au 2/3 dans les 6 derniers mois, avec des professionnelles récemment diplômées (1 sur 2 moins d’un an de diplôme).
L’infirmière précise être stressée lorsque certains chirurgiens formulent des demandes, et n’arrive pas encore à poser les priorités.
L’étudiante a réalisé une distribution de médicaments, sans avoir vérifié la concordance avec la prescription. Les transmissions faites entre professionnelles de santé manquent de précision : l’infirmière n’a pas explicité le contexte médical du patient.
Les effectifs paramédicaux sont conformes aux recommandations, soit 1 infirmière pour 10 patients maximum sur l’équipe du matin (en cohérence avec la charge en soins).
La consultation d’anesthésie a été réalisée conformément au cadre réglementaire, et les prescriptions pré-opératoires ont été réalisées.
L’appel des patients, dans le cadre de l’urgence, est effectué par le bloc opératoire, environ 45 minutes avant l’arrivée du brancardier, pour laisser le temps aux équipes soignantes de finaliser les soins pré-opératoires.
La procédure a été respectée par le bloc opératoire.
Le service est organisé en 3 secteurs, et les patients sont répartis en fonction de la charge en soins, pour garantir un équilibre entre professionnels de santé.
Cette règle était là encore respectée ; pas de disparité relevée.
En résumé :
- une infirmière récemment diplômée qui prend en charge une étudiante infirmière,
- une rupture dans la réalisation d’un soin pour répondre à une demande d’un chirurgien,
- une communication inadaptée à la situation avec l’étudiante,
- une professionnelle de santé qui n’arrive pas à établir des priorités dans sa planification de soins.
Une réunion de service a réuni le chef de service et deux de ses collègues, le cadre et l’équipe paramédicale.
La discussion collégiale qui a suivi cette analyse a permis :
- de repréciser l’importance d’aller au bout de son soin, quel qu’en soit le motif : toute rupture dans le protocole de soin peut être source d’erreur,
- une demande médicale et/ou chirurgicale ne doit pas être forcément priorisée lorsque l’infirmière est en cours de réalisation d’un soin,
- la visite du chirurgien doit être planifiée dans le déroulement de la journée, afin que l’équipe soit disponible pour enregistrer les constats, explications et prescriptions pour les malades,
- la communication doit être précise et synthétique,
- l’encadrement d’un(e) étudiant(e) impose une démarche pédagogique et des explications sur la nature du soin confié, les raisons de cette prescription, la vérification du bon niveau de connaissance de l’apprenti avant de lui déléguer un soin.
Dans cette démarche, il n’y a eu aucune action correctrice organisationnelle mise en place. On peut simplement noter que des fondamentaux, des évidences ont été rappelés et que le respect du travail de chacun est primordial dans les organisations. C’est peut-être aussi cela la gestion des risques, rappeler sans faiblir les règles établies…
Chaque acteur a pu prendre conscience que toute rupture dans un acte de soin pouvait générer des erreurs. Cette prise de conscience a modifié, pendant quelques semaines, les comportements…
Mais chaque situation de stress occasionne parfois un oubli de ces fondamentaux, par le médecin, le cadre ou par l’infirmière… générateurs de risques pour le patient.
Cela démontre l’importance de mettre en vigueur dans les organisations de soin les pratiques dites de fiabilité humaine permettant de récupérer les erreurs. La délégation contrôlée fait partie de ces pratiques.