Monsieur K., 56 ans, est rentré en établissement de santé pour bénéficier d’une intervention chirurgicale dans le cadre d’un traitement d’un cancer du pancréas …
Cet événement a eu comme conséquences :
- un report de l’intervention chirurgicale de 6 jours, avec la nécessité de déplacer certaines interventions pour pouvoir positionner cette longue intervention,
- une annonce difficile à faire au patient du fait de la pathologie grave et de la lourdeur de l’intervention, avec des répercussions psychologiques à prendre en compte,
- une plage opératoire laissée libre, sans intervention chirurgicale, générant de fait une perte financière pour l’établissement par une mobilisation de moyens humains non exploités,
- des équipes de soins dans le questionnement, voire la culpabilisation car l’incompréhension est de mise devant la disparition des prélèvements sanguins.
Le chirurgien et le MAR ont rédigé un signalement sur l’incident transmis à la cellule de Gestion des Risques. Les responsables ont décidé de réaliser une analyse afin de comprendre la génèse de cet événement.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.
Facteurs liés aux patients :
L’intervention programmée imposait une stratégie transfusionnelle, et rendait nécessaire le bilan pré transfusionnel. Il n’était pas concevable de débuter cette intervention sans Produit Sanguin Labile disponible immédiatement.
Le résultat de la Recherche d’Agglutinines Irrégulières positif n’a pu être expliqué en première intention, puisque le patient n’avait rien signalé lors de la consultation d’anesthésie. Le patient, après avoir « fouillé » dans sa mémoire s’est finalement souvenu qu’il avait bénéficié d’une transfusion sanguine un peu plus de 30 ans auparavant, dans les suites d’un Accident de Voie Publique moto. Seul élément pouvant expliquer la présence d’Agglutinines.
Le patient ne disposait pas d’un dossier regroupant tous les éléments en lien avec son historique médical. Il ne consultait un médecin que très rarement.
Facteurs liés aux tâches à accomplir :
La procédure précisant les étapes à respecter pour réaliser une détermination de groupe sanguin et une recherche de RAI est rédigée et consultable sur la base documentaire Qualité de la structure. De plus, cet acte de soins est réalisé à plusieurs reprises de manière hebdomadaire dans le service. Donc connu de tous.
Le patient se souvient parfaitement avoir été prélevé la veille par l’IDE qui l’a accueilli, puisqu’il lui avait expliqué la nécessité de cet examen, et surtout qu’il avait pris soin de contrôler rigoureusement son identité.
L’IDE se souvient avoir placé le prélèvement dans le container ad’hoc (boite de transport) et lui même placé dans le système de transport automatisé programmé pour aller directement au LBM.
Après avoir effectué des recherches, le bilan a été retrouvé dans la valisette de transport à l’économat de l’établissement : mauvaise programmation de la station réceptrice ? Erreur d’acheminement ? L’enquête n’a pas permis de comprendre l’incident à ce niveau du process.
Par contre, l’IDE n’a pas pensé à consulter les résultats sur le serveur, car sa charge de travail était très importante et il n’a pas transmis à son collègue de nuit l’attente des résultats.
De même, le médecin anesthésiste qui est venu vers 19h00 réaliser la visite pré anesthésique n’a pas appelé le LBM pour connaître les résultats des examens demandés. Il a pensé que l’IDE allait le faire et qu’il serait prévenu si un résultat était pathologique.
Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué) :
L’infirmière en poste est un personnel fixe qui connaît bien les habitudes et le fonctionnement du service.
Le MAR est également un praticien qui travaille dans l’établissement depuis de nombreuses années, et qui connaissait bien l’IDE en poste cet après midi. Il a reconnu qu’il avait une entière confiance en ce professionnel, et qu’il était convaincu qu’un résultat pathologique aurait généré une action d’alerte vers le MAR de garde.
Les patients pris en charge dans ce service ont des pathologies habituelles, sans particularité de prise en charge.
Interrogée sur sa charge de travail, l’infirmière explique qu’elle était très importante, mais qu’elle avait réussi à faire l’intégralité de ses tâches. Il a également expliqué que tout résultat anormal était signalé téléphoniquement par les techniciens de laboratoire. N’ayant pas eu d’appel téléphonique, il a pensé que les RAI étaient négatives et que les 3 CGR étaient en stock dans la banque de sang de l’établissement. A aucun moment, il n’a imaginé que les prélèvements étaient égarés.
Facteurs liés à l’équipe :
Les transmissions entre l’équipe de jour et l’équipe de nuit sont effectives. Mais la charge de travail, et notamment la présence de plusieurs patients très lourds dans le service ont fait passer au second plan cette problématique de résultats d’examens attendus.
De plus, la nuit a été très dense en soins techniques, et l’IDE interrogé a reconnu n’avoir pas eu le temps de vérifier si les dossiers des patients opérés le lendemain étaient complets, comme il avait l’habitude de le faire.
Facteurs liés à l’environnement de travail :
Le dossier patient est en format numérique ou Dossier Patient Informatisé (DPI). L’examen du process a mis en évidence une absence de paramétrage pouvant générer une alerte informatique automatique chaque fois qu’un bilan prélevé ne fait pas l’objet d’un retour de résultats.
La charge de travail, évaluée comme très dense dans le service, est un facteur identifié comme contributif ; car une charge de travail habituelle aurait très certainement permis un dernier contrôle des dossiers des opérés du lendemain.
Facteurs liés à l’organisation et au management :
Les professionnels de santé concernés par cette problématique sont des personnes qui connaissaient bien les environnements de travail (le médecin et les IDE).
Facteurs liés au contexte institutionnel :
Cet établissement de santé est organisé pour prendre en charge ce type de pathologie.
L’analyse de cette situation a conduit les professionnels médicaux et paramédicaux à réfléchir sur plusieurs points concernant le process d’envoi des examens au LBM et au process de retour des résultats.
Les axes d’amélioration préconisés par la gestionnaire de risques, en accord avec les différents acteurs ont été :
Ce retour d’expérience a permis de faire passer des messages aux autres secteurs de soins, et d’adapter les actions correctrices aux autres contextes de travail.
La double vérification doit s’intégrer dans une démarche de gestion de risques comme un outil de prévention et de récupération.
Ce système de contrôle croisé entre plusieurs professionnels de santé, mais réalisé à des moments différents et de manière indépendante doit permettre d’éviter un nombre d’erreurs important, voire de les récupérer. C’est donc un outil de sécurisation.
Se reposer sur un autre professionnel génère une situation de vulnérabilité, car chacun de nous peut faillir à tout moment.
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Il me semble que quant on demande un examen sanguin et de plus s'il est urgent on cherche à obtenir ce résultat rapidement.Le MAR est responsable et la surcharge de travail n'est pas une excuse au contraire !