Mme C., 86 ans, est adressée aux urgences d’un établissement de santé pour suspicion d’occlusion intestinale.
Dans son courrier, le médecin traitant précise que cette patiente est en bon état général. Seul antécédent connu : une épilepsie idiopathique, équilibrée depuis près de 50 ans par un traitement de Gardénal per os, avec une posologie de 20 mg à prendre le soir au coucher. Posologie adaptée au fil des années.
Le médecin traitant précise également le tableau clinique constaté : douleurs abdominales depuis 3 jours, avec une augmentation du périmètre abdominal depuis 24 heures, ventre peu souple avec météorisme, et la patiente qui ne s’alimente plus, en raison de vomissements fréquents depuis 48 heures. Il est également noté un arrêt du transit intestinal.
A son arrivée, le médecin urgentiste observe les mêmes symptômes. Il précise dans son observation la présence d’une défense abdominale sans ventre de bois.
Un Abdomen Sans Préparation est réalisé et objective l’occlusion en montrant la présence de niveaux hydroaériques, périphériques. Pour déterminer l’origine de ce syndrome occlusif, il demande un TDM abdominal avec injection pour préciser le siège de l’obstacle.
Il demande également un bilan biologique pour connaître le retentissement général de ce syndrome occlusif : NFS, plaquettes, bilan de coagulation, ionogramme sanguin, créatinémie, groupage sanguin et recherche d’agglutinines irrégulières.
Les résultats du TDM montrent la présence d’une tumeur colique expliquant le tableau clinique. Les résultats du bilan biologique signalent des troubles ioniques, et notamment une hypokaliémie.
Le médecin urgentiste contacte le chirurgien digestif de garde. Une hydratation est prescrite pour corriger les troubles hydroélectrolytiques. Une intervention chirurgicale est proposée à la patiente, qui l’accepte. Elle est programmée le lendemain.
L’intervention se déroule sans difficulté particulière : la tumeur étant située dans la moitié gauche du côlon, le chirurgien réalise une hémicolectomie gauche par laparotomie, avec une remise en continuité dans le même temps. Le chirurgien et l’anesthésiste, au vu de la situation clinique, décident un séjour en Unité de Surveillance Continue pour 48 heures pour surveiller Mme C. dans les suites opératoires immédiates.
J+2 de son séjour en USC. L’équipe de jour retrouve Mme C. somnolente dans son lit, qui n’arrive pas à se réveiller. Le médecin est prévenu immédiatement. L’examen du bilan biologique prélevé le matin est sans particularité. Après un examen neurologique, il demande un TDM cérébral en urgence, suspectant un Accident Vasculaire Cérébral.
Le scanner est normal.
Devant l’absence d’explications de ce tableau clinique, l’équipe médicale se concerte et décide alors de faire une barbitémie.
Le résultat montre une valeur six fois supérieure à celle obtenue en pré-opératoire. L’équipe médicale fait le lien entre ce résultat et le tableau clinique de la patiente.
Reste à comprendre la génése de ce surdosage en barbituriques.
Du fait de l’arrêt du transit intestinal, le GARDENAL* devait être administré en Intra Musculaire, à la même posologie. Les équipes de nuit ont donc été interrogées, puisque cette injection était planifiée à 21h00. Après le traitement des informations recueillies, il ne fait plus aucun doute que la patiente a reçu une dose de GARDENAL* cinq fois supérieure à celle prescrite.
La famille de Mme C. a été prévenue de cet incident, et elle a reçu toutes les explications sur les suites possibles en lien avec cette erreur.
La patiente a retrouvé un état de conscience normal au bout de 3 jours, et les suites de son hospitalisation en U.S.C. n’ont pas appelé de remarques particulières. Elle a pu être transférée dans le service de Chirurgie Digestive, puis elle a pu bénéficier d’un séjour en maison de repos avant de regagner son domicile.
Cette erreur de dosage a été difficilement acceptée par les responsables du service ; aussi ils demandent une analyse pour comprendre les raisons de cet incident.
Le service a dû :
- gérer un allongement de cette hospitalisation (cinq jours),
- gérer une communication délicate avec la famille et la patiente,
- gérer une plainte potentielle,
- gérer ce retour d’expérience pour une équipe soignante dans le questionnement.
Cette erreur d’administration a été très difficile à gérer par les professionnels de santé en charge de la patiente cette nuit là. La déclaration de cet Evénement Indésirable Grave et la démarche des responsables du service ont déclenché une analyse pour comprendre les raisons qui ont conduit à cet incident. L’objectif de ce retour d’expérience est d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Facteurs liés aux patients
La patiente présente dans ses antécédents une épilepsie idiopathique, avec un traitement de fond par GARDENAL* depuis plusieurs dizaines d’années.
La pathologie tumorale en lien avec le syndrome occlusif, son retentissement et l’âge de la patiente sont des facteurs qui ont orienté l’équipe médico-chirurgicale à proposer un séjour en U.S.C. Le pronostic vital n’était pas engagé.
La patiente ne présente aucun trouble cognitif, et comprend parfaitement la situation. C’est elle qui a accepté le traitement proposé. Elle est parfaitement autonome dans son quotidien, avec son conjoint : elle habite une maison, et n’a besoin d’aucune aide. Elle est en bonne forme physique.
Facteurs liés aux tâches à accomplir
La prescription de son traitement anticonvulsif ne présentait aucune anomalie : cette prescription a été réalisée dans le dossier de la patiente en respectant les règles ad’hoc : nom du principe actif, voie d’administration, posologie, horaire d’administration, nom de la prescription, identification du prescripteur.
Aucun élément pouvant influencer la réalisation technique de ce soin n’est à retenir : les médicaments étaient disponibles dans la pharmacie du service, les dispositifs médicaux stériles également.
Ce soin relève d’un acte délégué, à partir d’une prescription médicale, et donc obligatoirement réalisé par un Infirmier Diplômé d’Etat. Ce qui a été le cas.
Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué)
L’I.D.E., qui a réalisé l’injection, est un jeune professionnel qui a intégré l’équipe de ce service depuis 3 mois. Il a bénéficié d’une période d’intégration de 6 semaines, dont 4 semaines en doublure de jour, et 2 semaines en doublure de nuit. Ce professionnel est diplômé depuis près de 6 ans, mais il n’a aucune expérience en secteur de soins intensifs, ce qui explique cette période d’intégration.
Il est positionné en autonomie dans son poste depuis 6 semaines.
Ce groupe de professionnels de santé réalisait la 2° nuit d’une série de 3, avec 3 jours de repos précédant la série. Il n’est pas signalé de fatigue, d’autant plus que le soin était planifié en début de nuit.
Facteurs liés à l’équipe
La communication au sein du service est organisée. Les informations entre professionnels sont échangées lors des transmissions entre équipes. Ces périodes sont effectives et pérennes.
Pour ce service, l’équipe de nuit est composée de deux I.D.E. et d’un A.S. Dimensionné à 8 lits, chaque I.D.E. a en charge 4 patients. Cette nuit là, le service était complet. L’entraide entre acteurs de santé est un fait établi dans ce service. L’organisation du service est appropriée par l’ensemble des personnels.
Les relations avec la famille étaient bonnes. Ils avaient toute confiance dans les équipes soignantes.
Le dossier patient est informatisé dans cet établissement. Le circuit du médicament est sécurisé lorsque les procédures sont strictement respectées.
Facteurs liés à l’environnement de travail
Les effectifs au sein du service étaient conformes au schéma d’organisation validé en cohérence avec ses activités et son capacitaire.
La charge de travail dans le service au moment de l’incident était lourde : l’I.D.E., en charge du secteur dont dépendait Mme C., était occupé avec un patient qui se dégradait, et qui nécessitait sa présence quasi-constante. Le Médecin Réanimateur venait de réajuster le traitement, et sa mise en œuvre immédiate était indispensable. Venant de terminer son tour de soins, il restait l’injection de Mme C. à réaliser : il a demandé à son collègue de la prendre en charge, en lui précisant « que c’était seulement une I.M. de GARDENAL*, une demie ampoule, le médicament est dans la pharmacie du service ».
Son collègue s’est donc rendu disponible pour exécuter le soin, a trouvé dans l’armoire à pharmacie un flacon de lyophilisat de 200mg, l’a préparé et a injecté 100mg de principe actif au lieu des 20mg prescrits. Il n’a pas vérifié la prescription dans le dossier de la patiente, et surtout n’a pas tracé l’administration, laissant le soin à son collègue de le consigner.
Cette absence de communication adaptée et le non respect strict de la procédure ont fait qu’aucun des I.D.E. ne s’est rendu compte immédiatement de l’erreur. Ce n’est qu’après avoir répondu aux questions du cadre du service, que les infirmiers ont compris leur erreur : celui qui a administré le traitement ne savait pas qu’il y avait 2 présentations du médicament (40mg/2ml et 200mg/4ml) dans la pharmacie du service.
Facteurs liés à l’organisation et au management
Pour tout nouveau personnel intégré dans cet établissement, et plus particulièrement pour ce service : une période de doublure est organisée, avec un tuteur et une évaluation de l’acquisition des compétences en cohérence avec le secteur d’activités. Ce professionnel n’a pas fait exception à la procédure institutionnelle.
L’évaluation de ce professionnel a été reprise, et aucun élément pouvant expliquer cet incident n’a été retrouvé.
La question suivante lui a été posée : « pensez-vous que la période d’intégration soit suffisante ? » et la réponse a été claire « un mois d’intégration de plus n’aurait pas évité cette erreur, c’est une absence de rigueur dans la réalisation du soin qui est à son origine ! ».
Facteurs liés au contexte institutionnel
Cet établissement de santé est organisé pour prendre en charge ce type de pathologie.
- Une charge de travail importante, à un instant T, qui a nécessité une organisation dégradée pour un espace temps restreint,
- Un nouveau professionnel arrivé dans le service, qui a bénéficié d’une période d’intégration adaptée, mais qui ne connaissait pas toute la pharmacie du service,
- Une communication, et surtout une transmission entre 2 professionnels non conformes,
- Une procédure d’administration de traitement médicamenteux non respectée, dans un contexte de surcharge de travail ponctuelle.
L’analyse de ces situations a conduit les responsables du service à prendre les dispositions suivantes :
Cette erreur médicamenteuse avérée s’est déroulée dans un secteur de soins intensifs, accueillant des patients présentant des pathologies déséquilibrées, donc plus vulnérables.
L’analyse de cet événement indésirable montre que le moindre relâchement, un manque de rigueur passager peut rapidement avoir des conséquences graves pour le patient que tout professionnel de santé prend en charge.
Les préconisations restent simples et modestes, mais il est important de les rappeler au quotidien. A travers des exemples de ce type, il est primordial de montrer que les fondamentaux appris lors des formations initiales, ou lors des retours d’expérience doivent être inlassablement respectés.
Tout contexte de soin réalisé selon un mode dégradé doit impérativement générer une rigueur optimale et une vigilance de tous les instants.