Le titre est provocateur. Il est susceptible de choquer le monde vétérinaire. C’est voulu.
En effet, on aime beaucoup parler de la compétence, des compétences… mais on n’en parle jamais frontalement de façon négative. Pourtant, il n’y a strictement aucune raison solide de ne pas vouloir regarder en face l’incompétence professionnelle.
Sur ce site, en 2020, le Professeur Amalberti titrait ainsi un de ses articles : "Comment détecter les médecins incompétents et prendre des mesures correctives hors contexte de plainte ?".
Cette façon d’aborder la question ne semble plus véritablement un tabou en médecine humaine, même si, dans la plupart des pays, on ne progresse pas véritablement dans la gestion des médecins dangereux. Elle n’est pas encore, à ma connaissance, abordée dans l’univers professionnel vétérinaire français.
René Amalberti relevait "qu’une faible fraction (2 %) des médecins était considérée comme à risque aux États-Unis et que ceux-ci totalisaient 50 % des erreurs médicales". Une étude australienne évaluait ce taux à 3 %, tandis qu’une étude française, basée sur des données d’assurances, révélait par exemple que 6,8 % des chirurgiens orthopédiques concentraient à peu près 47 % des mises en cause et 64 % du coût à charge pour l’assurance.
Le constat était celui du manque d’évaluations, de l’absence de sanctions et de la persistance du problème, les ordres ne pouvant agir notamment qu’en cas de plainte.
L’accréditation individuelle n’a pas vraiment le vent en poupe. L’accent est mis sur la formation continue mais les évaluations ex ante et ex post des formations proposées à foison, ainsi que les contrôles dans leur ensemble, restent insuffisants. Le problème persiste donc. Ajoutons que la pénurie médicale ne facilitera sans doute pas la résolution du problème de l’incompétence.
Les études mettaient aussi en évidence que lorsque le médecin était en cause, sa responsabilité propre n’était plus que de l’ordre de 10 % quand celle de la plateforme de soins et de l’équipe avoisinait les 50 %. Le Pr Amalberti, guère optimiste, fustigeait un "endogamisme" coupable, quel que soit le pays concerné, l’affaire ne cherchant à se régler qu’entre médecins. La certification d’équipe et la recertification obligatoire du diplôme (actuellement en cours de mise en œuvre) lui paraissaient les pistes à privilégier.
Compétence et incompétence sont des mots polysémiques. D’abord, mettons-nous d’accord sur leur sens dans cet article.
Dans le dictionnaire Robert culturel de 2005, la compétence, celle qui nous intéresse ici, est définie comme "la connaissance approfondie, l’habileté reconnue qui confère le droit de juger ou de décider (dans un domaine)". L’incompétence est le défaut d’aptitude, de compétence ; le défaut des connaissances ou de l’habileté nécessaires.
Il est classique aujourd’hui de subdiviser la compétence (qu’on préfère généralement employer au pluriel) en savoir, savoir-faire et savoir-être. En gestion des risques, on recourt facilement au distinguo entre compétences techniques (médicales, chirurgicales…) et compétences non techniques (capacité à communiquer, informer, expliquer, échanger).
De même qu’on n’attend pas d’un médecin qu’il ne soit qu’un ingénieur ou un technicien de la médecine, on attend d’un vétérinaire qu’au-delà de ses connaissances et de son esprit scientifique critique, ainsi que de son habileté technique, il soit capable d’écouter, d’échanger pour informer, expliquer et recueillir le consentement réellement éclairé du propriétaire de l’animal.
Ces métiers ne peuvent s’exercer sans capacité d’empathie. Pour le vétérinaire, c’est avec le maître mais aussi, d’une certaine manière, notamment quand il s’agit d’un animal de compagnie, avec celui-ci. Cette capacité fait partie des compétences attendues.
En pratique, et de façon courante, la détection se fait plutôt par la réputation. Pourtant, cette approche n’offre aucunement la garantie d’objectivité scientifique. Et c’est un euphémisme.
Une approche plus objective et plus scientifique peut se faire par les assurances, via les mises en cause en responsabilité civile, à travers l’expertise vétérinaire.
L’approche par la mise en cause déontologique est un moyen complémentaire, dans la mesure où la déontologie tend à intégrer de plus en plus la formation et la compétence. Mais tout cela reste encore bien imparfait et sans doute insuffisant.
Cela reste sûrement le seul moyen efficace à ce jour : la prévention par la formation.
La formation initiale doit enseigner la science vétérinaire et une médecine obligatoirement héritée aujourd’hui de la science, avec toute l’exigence de rigueur intellectuelle requise.
L’esprit critique doit être enseigné mais former des ingénieurs de la médecine vétérinaire reste insuffisant. Les sciences humaines doivent nécessairement venir compléter la formation initiale.
Elles favoriseront l’acquisition d’autres compétences, notamment relationnelles, en même temps que l’interrogation éthique permanente. Cette interrogation comporte forcément une remise en cause à tout instant de sa propre compétence, dans le but de prévenir sa propre dangerosité.
Bien sûr, la formation initiale se doit d’être très rapidement relayée par la formation continue, dans sa spécialité et hors de sa spécialité mais au minimum dans sa spécialité.
Il doit s’agir de formations reconnues, dans des disciplines médicales strictement fondées sur l’approche scientifique. On ne peut plus exercer aujourd’hui sans esprit critique, en se contentant de répéter ou de reproduire ce qu’on a appris autrefois. La notion de données acquises - et non point actuelles - de la science devrait aujourd’hui être une obsession du praticien qui veut conserver sa compétence et continuer à se prétendre compétent et reconnu comme tel.
Plus question aujourd’hui de considérer qu’on a bien fait son travail dès lors qu’on s’est donné les moyens du diagnostic, du traitement, de la prévention. C’est déjà bien, certes, sinon très bien. C’est nécessaire mais ce n’est plus suffisant. Il faut évaluer ses résultats et ne plus se contenter de l’appréciation du propriétaire de l’animal.
Les praticiens doivent acquérir la culture de l’évaluation de leurs résultats et mettre en place les ressources nécessaires à cette fin par leur constat et leur enregistrement.
De l’évaluation de ses propres résultats, on passe insensiblement au réflexe sinon à la culture de l’évaluation de ses propres compétences. L’auto-évaluation est une première étape.
Cette auto-évaluation des compétences ne peut se faire indépendamment de la juste détermination de son propre domaine de compétences, au-delà duquel il faut savoir référer l’animal confié. Cette auto-évaluation est sans doute insuffisante. Il faudra trouver les moyens d’aller plus loin, dans une démarche de progrès.
Aujourd’hui en Europe, le diplôme de vétérinaire (vétérinaire généraliste) n’est pas soumis à recertification. Il est définitivement acquis et premier générateur du droit à l’exercice, un droit à vie.
Cependant, et cela devrait constituer un sujet de fierté vétérinaire, le diplôme de spécialiste européen est remis en question tous les cinq ans. C’est incontestablement aujourd’hui un grand progrès tout à fait louable en matière de prévention de l’incompétence.
Le Code de déontologie en vigueur, introduit par le décret du 13 mars 2015 et porté par les articles R242-32 à R242-34 du Code rural et de la pêche maritime, renvoie, par son article R242-54 sur les catégories d’établissements de soins vétérinaires, à un arrêté du même jour qui apporte notamment des précisions sur les exigences de formation continue des vétérinaires.
Cet arrêté renvoie à des cahiers des charges en fonction des catégories d’établissements. Ces cahiers des charges édictent tous que chaque docteur vétérinaire en activité dans l’établissement de soins vétérinaires considéré doit être en mesure d’apporter la preuve qu’il assure sa formation continue conformément aux préconisations émises par le Comité de la formation continue Vétérinaire (CFCV).
C’est le Conseil régional de l’Ordre qui a la charge du contrôle de ces dispositions. Un bilan de ces contrôles mériterait sans doute d’être publié. Il n’est pas déraisonnable de penser que "l’endogamisme" dénoncé par le Pr AMALBERTI constitue un facteur limitant de ces mesures. Elles ont constitué indéniablement un premier pas, en tout cas une première étape qui nécessite d’être dépassée dans le prochain code.
On a trop longtemps distingué compétence - notamment technique - et déontologie. Mais aujourd’hui, dans une déontologie résolument tournée vers les bénéficiaires du service vétérinaire, il est impensable de ne plus considérer la compétence comme vertu déontologique. Et sans doute même la première.
Alors il faut l’affirmer. Et l’affirmer fortement. Ne plus se contenter de formules vagues telles que de ne pas exercer dans des conditions pouvant compromettre la qualité des actes ou telles que celles sur l’obligation d’acquisition de l’information scientifique nécessaire à l’exercice professionnel. Ces obligations sont nécessaires mais aujourd’hui insuffisantes.
Et surtout, afin de rompre avec certaines modes et autres emballements commerciaux de nos sociétés modernes, il convient de mettre en place tous remparts contre les nouveaux charlatanismes en expansion et exiger une médecine vétérinaire prioritairement fondée sur les données probantes. Il s’agira d’une question d’honneur et sans doute d’avenir pour la profession de vétérinaire en France.
La profession de vétérinaire avait su innover en France lors de la réforme de son Ordre en créant dans son droit disciplinaire des peines accessoires d’obligation de formation. Elle a déjà bien commencé à se donner le courage de sanctionner l’incompétence. Elle devra aller plus loin et tendre vers la décision collective, de se donner sans faiblesse, en dehors de toute plainte à la suite d’événement indésirable grave, les moyens d’évaluation continue de la compétence de ses acteurs.
Documents à consulter
Référentiel d’activité professionnelle et de compétences à l’issue des études vétérinaires - agreenium.fr
Code de déontologie vétérinaire (décret n° 2015-289 du 13 mars 2015)
Arrêté du 13 mars 2015 relatif aux catégories d'établissements de soins vétérinaires
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