Selon le CDC ("Center for Disease Control and prevention", direction de la santé américaine), il y a environ 2,6 millions de décès aux États-Unis chaque année, toutes causes confondues. Qu'en disent les médias ?
Certains cas d’erreurs sont faciles. Par exemple, si un chirurgien opère un abdomen, ripe et fait une plaie de l'aorte, conduisant à une exsanguination rapide du patient, il est évident que l'erreur a causé la mort du patient.
Mais qu'en est-il quand on donne un antibiotique inadéquat à un patient septique gravement atteint de dysfonctionnement multi-systémique ?
De même, faut-il attribuer l’imputabilité à une erreur sur le traitement, délai, oubli de test ou autre sur un patient en toute fin de vie qui a une forte probabilité de mourir même avec des soins parfaits ?
Et faut-il sommer ces cas si différents dans une enveloppe unique qui fait les délectations de la presse, tant il y a du sensationnel derrière ces extrapolations ?
Il suffit de regarder ces unes de la presse pour s’en persuader :
Ces unes sensationnelles font toutes référence à un article provocateur publié en 2016 dans BMJ par Makary et Daniel intitulé "Erreur médicale - la troisième cause de décès aux États-Unis", qui affirme notamment que plus de 251 000 personnes décèdent dans les hôpitaux à la suite d'erreurs médicales.
Mais réfléchissons… étant donné que, selon le CDC, seulement 715 000 décès survenaient dans les hôpitaux en 2016, ce serait dire 35 % des décès de patients hospitalisés étaient dus à des erreurs médicales. Qui peut croire sincèrement à de tels chiffres ?
Il y a évidemment beaucoup de problèmes avec cet article, et encore plus de problèmes avec la façon dont les résultats ont été rapportés à la presse.
La communauté des spécialistes a fortement réagi et a condamné clairement la démarche dès sa sortie.
Cela n’a pas empêché cet article d’être cité presque 2 000 fois depuis dans Google Scholar, justement parce qu’il est sensationnel…
Il s'agit plutôt d'une simple reprise de données (déjà existantes), basée sur une extrapolation outrancière et peu scientifique de 4 sources scientifiques, dont les extrapolations étaient déjà sensationnelles mais toutes discutables :
Au total, l’article de Makary et Daniel propose une extrapolation sur la moyenne des extrapolations… on n’est effectivement pas loin d’une infox, à tout le moins d’une liberté scientifique osée.
Par exemple, voici un cas clinique décrit par les auteurs :
"Une jeune femme se rétablit après une opération de transplantation réussie. Mais elle est réadmise à l’hôpital pour des plaintes non spécifiques évaluées par des tests approfondis, y compris une péri-cardiocentèse. Elle est à nouveau sortante, mais revient à l'hôpital quelques jours plus tard avec une hémorragie intra-abdominale et un arrêt cardio-pulmonaire. Une autopsie révèle que l'aiguille insérée pendant la péri-cardiocentèse a effleuré le foie, provoquant un pseudo-anévrisme qui a entraîné une rupture et la mort."
Malgré son caractère dramatique, l’évitabilité de ce cas est loin d'être aussi simple que les auteurs ne semblent le penser.
On peut discuter la pertinence de l’indication de l’examen (peut-être compréhensible dans le cadre d’un retour à l’hôpital sans diagnostic évident) et son exécution.
Sur cette exécution, et même si la procédure percutanée a contribué de façon certaine à la mort, il faut rappeler que le saignement retardé est une complication connue des procédures percutanées, même dans des mains expertes, tout comme les dommages aux organes adjacents, notamment les plaies punctiformes du foie.
Lorsqu'un tel saignement se produit, cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a eu une "erreur" médicale.
Selon qu’on généralise et inclut - ou pas - ce type d’événement indésirable dans les causes d’événements indésirables évitables (EIE), on peut rapidement avoir un écart de comptage final des décès évitables de facteur 10 voire plus.
La leçon pour nous est de garder raison, réfléchir avec bon sens et se méfier de chiffres extrapolés qu’on annonce à la presse. Qui peut sérieusement croire qu’un tiers des patients à l’hôpital meure d’erreur médicale aux Etats-Unis, même si le système américain n’est pas sans reproches, loin s’en faut.
On peut même se demander si de telles extrapolations sensationnelles et journalistiques servent vraiment la cause de la sécurité des patients, en pensant très fort que c’est plutôt l’inverse avec un risque de décrédibilisation du domaine pour la profession, alors qu’il y a encore tant à faire pour améliorer réellement le risque médical.