Madame B., 92 ans, a été opérée d’une fracture trochantérienne fémorale gauche.
Madame B est tombée de sa hauteur, à son domicile, et a été conduite par les pompiers aux urgences : elle présentait une douleur importante de la hanche et une impotence fonctionnelle.
L’équipe soignante des urgences, à son arrivée, la prend immédiatement en charge et s’attache à soulager sa douleur avant toute chose. Une voie veineuse est posée, un bilan sanguin est réalisé.
L’examen clinique confirme l’impotence fonctionnelle, et le médecin constate un raccourcissement du membre inférieur concerné.
Une radiographie du bassin et de la hanche est alors réalisée, montrant un trait de fracture au niveau du trochanter.
Le chirurgien orthopédiste contacté pose l’indication de la pose d’un clou gamma le lendemain.
La patiente est alors hospitalisée en chirurgie orthopédique.
La consultation d’anesthésie ne détecte aucune contre-indication à l’anesthésie. La malade est donc opérée le lendemain, comme convenu. Elle a pu être intégrée dans le programme. L’intervention a lieu en début d’après midi, sur table orthopédique, et la pose d’un clou gamma sous contrôle radioscopique est réalisée sans difficulté technique apparente. Le clou fémoral, la vis cervicale, la vis anti-rotation et la vis de verrouillage distale ont pu être installées et le contrôle radioscopique montre une réduction chirurgicale attendue.
Les suites sont globalement simples, l’appui sur le membre opéré est autorisé au vu de la stabilité de l’ostéosynthèse. Le lever est réalisé le lendemain, l’objectif étant de ne pas prolonger le décubitus dorsal et de retrouver une position debout rapidement chez une dame qui avait, avant cet incident, une autonomie totale dans sa vie quotidienne.
Le contrôle de son taux d’hémoglobine opératoire montre un chiffre à 9,7 g/dl et l’équipe médico-chirurgicale, au vu du tableau clinique, décide de ne pas proposer de transfusion sanguine.
Les suites sont simples, et il est proposé à la patiente une hospitalisation dans un Service de Soins et de Réadaptation (SSR) avec qui le service travaille habituellement et dans lequel la prise en charge de ce type de pathologie est courante.
Son transfert est donc organisé et planifié pour le 5° jour post-opératoire. Elle devra quitter le service vers 13h30, pour une arrivée prévue en service de SSR vers 14h30.
Le jour du départ, un dernier examen clinique et paraclinique est réalisé :
- le contrôle radiologique ne montre aucun déplacement secondaire, objectivant un bon début de consolidation,
- aucun raccourcissement du membre opéré n’est constaté,
- aucun signe de maladie thrombo-embolique n’est relevé, et la poursuite d’un traitement anticoagulant est préconisée pendant un mois, avec le port de bas de contention,
- aucun hématome au niveau de la hanche opérée n’est observé,
- aucun signe infectieux n’est relevé,
- le dernier contrôle hématologique montre un taux d’hémoglobine à 8,3 g/dl.
Devant cette donnée biologique, le médecin du service orthopédique contacte son confrère du secteur SSR, et malgré une excellente tolérance clinique de cette anémie, ils conviennent que Mme B. bénéficiera d’une transfusion de 2 culots globulaires avant son départ pour le centre de rééducation.
La transfusion sanguine pouvant être réalisée avant 16h00, ils conviennent également que la malade pourra arriver entre 17h00 et 18h00, puisqu’elle ne présente aucun problème de prise en charge particulier. L’équipe paramédicale prendra le relais à partir des éléments présents dans le dossier de transfert de la patiente.
La patiente est prise en charge à son arrivée en secteur SSR vers 17h50 ; elle est installée dans la chambre prévue à cet effet ; l’infirmière du soir du service prépare le traitement de la malade à partir des consignes trouvées dans le dossier. Elle est obligée de demander un dépannage au cadre de garde, car elle n’a pas dans la pharmacie tous les médicaments disponibles.
Le lendemain, le médecin responsable du secteur reprend les éléments du dossier, rédige son observation médicale dans le Dossier Patient Informatisé, ainsi que les prescriptions médicales pour la semaine.
Le pharmacien de la structure, à partir de la validation pharmaceutique qu’elle effectue, appelle son collègue pour lui expliquer que la patiente la veille et le matin a du recevoir du Célestène* en S/C, et non de la Calciparine*.
Les vérifications réalisées confirment les doutes du pharmacien. Il y a bien eu confusion entre 2 dénominations pharmaceutiques.
Cet incident n’a eu aucune conséquence pour la patiente et pour l’établissement, mais cette erreur médicamenteuse, rare dans ce secteur, montre une défaillance dans le circuit du médicament qu’il convient d’analyser pour comprendre la génèse de ce dysfonctionnement.
Le pharmacien est chargé de réaliser cette analyse.
L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre les mécanismes constitutifs de l’événement et éviter que cela ne se reproduise dans l’avenir.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.
Facteurs liés aux patients :
La patiente n’a aucun antécédent médical et chirurgical, hormis l’intervention dont elle a bénéficié pour sa fracture de hanche.
Mme B. n’avait aucun traitement antérieur, elle avait pour habitude de se soigner avec des médicaments homéopathiques.
Le traitement indiqué à la sortie du service chirurgical était un traitement anticoagulant, des bas de contention et des antalgiques de palier à la demande.
Il n’y a aucun problème relationnel entre soignant-soigné. La malade est en climat de confiance, puisque « tout s’est très bien passé jusqu’à maintenant ». Elle se laisse porter par les événements, et constate que l’évolution de sa fracture est très satisfaisante.
Facteurs liés aux tâches à accomplir :
La procédure d’admission des patients dans la structure SSR est écrite, et décrit les étapes de prise en charge à respecter.
Les transferts entre les 2 établissements sont réguliers, et les 2 équipes médicales se connaissent bien pour travailler ensemble depuis plusieurs années.
L’absence d’indications transfusionnelles immédiates est requise, car le secteur SSR n’a pas la souplesse financière pour réaliser cet acte de soins en routine.
Le mode dégradé utilisé dans cette situation est exceptionnel car les patients sont accueillis généralement en début d’après midi, dès qu’un départ est planifié (les malades quittent la structure habituellement le matin).
L’entrée du début d’après midi permet un accueil médical, avec la réalisation d’une observation clinique et la rédaction des prescriptions médicales, et notamment les traitements.
Ces traitements, initiés par le médecin rééducateur sur le DPI, sont ensuite validés par le pharmacien, et c’est la pharmacie qui prépare les piluliers pour la semaine et qui les transfère au service d’accueil.
Cette procédure habituelle, et organisée n’a pu être déroulée du fait de l’arrivée retardée de la malade : plus de médecin sur place pour confirmer les traitements, plus de personnel de pharmacie pour la validation pharmaceutique et la préparation des traitements.
Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué) :
L’infirmière, qui a réalisé le dossier papier transitoire (mode dégradé prévu par la procédure en l’absence de DPI), était une infirmière intérimaire, qui faisait son deuxième remplacement dans la structure. Elle n’était donc pas au fait des procédures et habitudes de la structure. Ce manque de connaissances organisationnelles et de retours d’expérience a nuit à son efficacité.
De plus, cette professionnelle travaille habituellement en cours séjour en secteur de médecine, et est donc moins rompue aux prises en charge des malades en moyen séjour ou de chirurgie.
Facteurs liés à l’équipe :
L’arrivée retardée de la malade est une pratique exceptionnelle : elle a été acceptée par le service de rééducation, car les patients annoncés par le biais du logiciel TRAJECTOIRE ont le tableau clinique décrit. Un climat de confiance est installé en les équipes.
L’infirmière avait bien été avertie de l’heure de l’arrivée de la malade, et une explication sur le mode dégradé lui avait bien été dispensée, mais son manque de retour d’expérience a visiblement été préjudiciable.
Le dossier, qui accompagnait Mme B., était sous format papier et manuscrit par le praticien du service d’orthopédie. Ce jour là dans ce secteur, on a déploré l’absence de secrétaire médicale (absente pour maladie). L’absence de DPI dans cet établissement n’a pas permis une impression des pièces constitutives du dossier. Habituellement, c’est la secrétaire qui dactylographie un résumé des observations médicales et l’ordonnance avec les traitements de sortie. Devant cette absence de ressources, c’est le médecin qui a rédigé de manière manuscrite ces documents.
La lecture de ces documents était difficile, et l’erreur de déchiffrage a été estimée comme possible après une analyse collective. On peut également noter qu’un traitement de Célestène* n’a pas de cohérence avec la situation de la patiente.
Enfin, on retient également que l’infirmière aurait pu solliciter l’aide du cadre de garde, car celui-ci était présent sur la structure.
Facteurs liés à l’environnement de travail :
La procédure en lien avec le circuit du médicament est rédigée, accessible à tous.
Son dernier audit, datant de moins de 2 mois, a montré un respect des règles préconisées : tous les indicateurs observés étaient en dessus de 95% de conformités.
Le mode dégradé est prévu, écrit dans les critères organisationnels du service. L’indicateur de suivi, traçant le nombre de patients pris en charge en dehors des procédures est de 8 patients pour l’année 2012, 6 pour l’année 2013 et 9 pour l’année 2014. Et c’est la première fois que l’on a pu observer un incident.
Les effectifs étaient en cohérence avec les organisations de travail validées au niveau institutionnel : 2 IDE étaient présentes pour 40 patients hospitalisés.
L’IDE de la structure n’a pas été sollicitée pas sa collègue intérimaire.
Facteurs liés à l’organisation et au management :
Le cadre de garde n’a pas fait le lien entre la demande de l’infirmière intérimaire et la patiente arrivant à 17h50, lorsqu’on lui a demandé ce médicament dans l’armoire à pharmacie d’urgence.
Le recours à du personnel intérimaire est exceptionnel pour cette structure.
Un livret d’accueil est remis systématiquement à tout personnel intégrant la structure, qu’il soit fixe, vacataire ou intérimaire. Dans ce livret d’accueil, on peut trouver notamment les numéros de téléphone utiles, les explications sur les organisations de travail, le classement des ressources documentaires de l’unité, …
Enfin, il y a toujours un personnel fixe de même métier présent, qui peut être sollicité en cas de besoin.
Facteurs liés au contexte institutionnel :
Cet établissement de santé est organisé pour prendre en charge ce type de pathologie.
- une patiente qui a reçu un traitement non prescrit, non indiqué avec son état de santé ; mais sans aucune conséquence sur son état de santé et sur son pronostic vital,
- une arrivée retardée de la patiente après validation médicale, en mode dégradé accepté au vu du climat de confiance développé dans le cadre d’un partenariat long entre ces deux services,
- l’absence d’accueil médical, du fait du mode dégradé, et de fait d’une prescription sur DPI, comme réalisé habituellement,
- la prise en charge de cette patiente par une infirmière intérimaire peu habituée à cette spécialité médicale et au contexte de travail (mauvaise connaissance des procédures institutionnelles, mauvaise connaissance des habitudes de travail, mauvaise connaissance des typologies de patients pris en charge),
- une professionnelle qui n’a pas sollicité ni sa collègue présente avec elle dans le service, ni le cadre de garde pour faire valider sa prise en charge (absence de double contrôle),
- un format de dossier transmis par le service adressant inhabituel (forme manuscrite permettant des erreurs de lecture),
- des procédures écrites, très bien respectées au vu du dernier audit, en tout cas par les personnels fixes,
- un accueil des nouveaux arrivants organisé et formalisé.
L’analyse de cette situation a conduit les professionnels médicaux et paramédicaux et la Direction Générale de l’Etablissement à réfléchir néanmoins sur les points suivants :
- éviter chaque fois que possible des entrées retardées,
- au vu du nombre restreint de patients accueillis dans ce contexte, un médecin devra toujours être présent (moins d’un patient par mois) pour à minima rédiger les prescriptions en lien avec les traitements des patients,
- confier l’accueil de ces patients en mode dégradé uniquement à du personnel fixe, rompu aux organisations et aux typologies de pathologies accueillies,
- demander au cadre de garde de toujours vérifier l’exactitude de la prescription avec les médicaments qui sortent de l’armoire d’urgence. Le double contrôle doit être la règle et un réflexe.
Dans ce cas pratique, le mode dégradé montre ses limites, avec des barrières de récupérations moindres que dans un mode de travail normalisé.
Il conviendrait de prendre comme règle simple et systématique le principe de double contrôle dans ce mode d’organisation.
Car c’est dans ces contextes dégradés que le patient devient vulnérable.