Défaut de surveillance dans un contexte de grossesse tardive prolongée : décès du nouveau-né

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Défaut de surveillance dans un contexte de grossesse tardive prolongée : décès du nouveau-né

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  • Une femme enceinte sous monitoring - La Prévention Médicale

Les grossesses tardives, après 40 ans, méritent une attention particulière afin de prévenir toute complication obstétricale ou pédiatrique. De nombreuses études montrent une augmentation du taux de diabète gestationnel, d'hypertension artérielle gravidique ou de prééclampsie. De même, la grossesse prolongée (après 41 SA) s'accompagne, dans la littérature, d'un risque accru de mortalité périnatale (0,7 à 5,8/1000) du fait des acidoses néonatales et des anoxies fœtales per partum. Lorsque ces deux éléments sont combinés, la surveillance doit être renforcée.

Auteur : Candice LHAUTE, Sage-femme / MAJ : 09/02/2024

Présentation du contexte et de la problématique

Mme P. est une primigeste de 40 ans : sa grossesse a été obtenue par FIV avec don d'ovocyte en Espagne du fait d'une insuffisance ovarienne. La patiente ne présente pas d'autres antécédents médicaux significatifs. Le suivi de grossesse se déroule intégralement au CHU et est sans particularité ; l'échographie du 3e trimestre montre un fœtus de sexe masculin en présentation du siège avec une estimation de poids au 19e percentile et des dopplers normaux. Une échographie de croissance est préconisée un mois plus tard. Il est prescrit une surveillance par une sage-femme (SF) à domicile par monitoring 1 fois par semaine, dans le contexte de l'âge maternel et du fœtus menu.

À 36 SA, l'échographie de contrôle montre un fœtus en présentation céphalique, le poids est alors estimé à 2447 g, soit le 35e percentile. Le liquide amniotique est en quantité normale, le placenta normalement inséré, les dopplers sont normaux.

À 40 SA+6j, la patiente se présente aux urgences de la maternité pour rythme cardiaque fœtal (RCF) peu réactif réalisé chez sa sage-femme libérale : l'analyse du RCF à la maternité montre un rythme de base à 130 bpm oscillant avec présence de pertes de signal ininterprétables et d'une décélération brève à 90 bpm avec récupération rapide. La TA est à 12/8 avec bandelette urinaire négative. Le col est postérieur long fermé. Une échographie de croissance est réalisée par l'interne de garde : fœtus en présentation céphalique, poids estimé à 3 200 g soit le 24e percentile, liquide amniotique (LA) en quantité normale, Doppler ombilical normal, vitalité fœtale bonne. Le monitoring de contrôle après l'échographie est normal, un contrôle est demandé 48 heures plus tard.

À 41 SA+1j, le monitoring est normal, sans contractions utérines, l'échographie montre un fœtus avec une bonne vitalité, une quantité de LA normale. Le col est toujours fermé : une surveillance à 48 heures est préconisée. La patiente évoque alors son souhait d'avoir une césarienne et signale une diminution des mouvements actifs fœtaux (MAF) : tous les examens étant normaux, l'interne explique à la patiente les modalités de déclenchement, l'absence d'indication de césarienne et la reconvoque 48 heures plus tard.

À 41 SA+3j, la patiente signale de nouveau une diminution des MAF : tous les paramètres de surveillance (bandelette urinaire, TA, RCF et échographie) sont normaux ; le col est postérieur long ramolli fermé avec une présentation juste appliquée, le BISHOP est calculé à 1. Du fait de la diminution des MAF à 41 SA+3j, la sage-femme et l'interne sollicitent l'avis du gynécologue sénior de garde : il préconise une maturation par ballonnet. Les conditions du déclenchement sont exposées à la patiente par la sage-femme. L'interne pose le ballonnet à 20 h : le RCF est posé de 19 h 45 à 23 h 10 et est noté normal, il n'y a pas de contractions utérines. Dans la nuit, vers 5 h 30, le ballonnet est dégonflé de 15 cc à cause de contractions utérines douloureuses.

Le lendemain à 8 h 15, la sage-femme de garde en salle de naissance retire le ballonnet et réalise un toucher vaginal : le col est ouvert à 1 doigt, postérieur, long, BISHOP à 2. Le gynécologue de garde, joint par téléphone, demande la pose d'un Propess® : les 2 heures de RCF suivant la pose du Propess® sont normales.

À 15 h 30, un monitoring de surveillance montre un RCF normal, avec des contractions utérines de faible intensité : la patiente regagne sa chambre d'hospitalisation.

Vers 22 h 15, la patiente ressent de fortes contractions utérines : elle appelle la sage-femme qui lui conseille d'aller prendre une douche et de rappeler si la douleur ne diminue pas. La patiente rappelle vers 00 h 50 : la sage-femme réalise un toucher vaginal : col court postérieur 1 doigt mou, présentation appliquée, membranes intactes. Le Propess® n'est pas retiré, la sage-femme propose une analgésie par Nubain®, refusée par la patiente, les MAF sont notés perçus. 

À 1 h, la sage-femme pose un monitoring avec "échec de pose et RCF non perçu. Changement d'appareil avec RCF 80 bpm (doute sur pouls maternel)" et descend en urgence en salle de naissances pour échographie.

À 1 h 30, le gynécologue de garde pratique une échographie qui ne retrouve aucune activité cardiaque fœtale et fait le diagnostic de mort fœtale in utero (MFIU). Il est alors décidé de poursuivre le déclenchement par Syntocinon® sous péridurale. Les explications sur le déroulement de l'accouchement sont données au couple, ainsi que la possibilité d'un examen foeto pathologique. L'accouchement a lieu quelques heures plus tard par spatules pour non progression, le liquide amniotique est teinté. L'accouchement est suivi d'une hémorragie par rétention placentaire complète, estimée à 500 cc, nécessitant une délivrance artificielle avec révision utérine, puis la suture d'une déchirure périnéale simple. L’enfant de sexe masculin pèse 2 880 g (3e percentile selon courbe Audipog) sans malformation anatomique visible. 

Le bébé est vu par le couple durant le séjour à la maternité, un suivi psychologique est débuté. L'examen foeto-pathologique souhaité par le couple montre un fœtus sans syndrome malformatif avec au niveau du myocarde un foyer inflammatoire pouvant évoquer une infection virale avec présence de signes en faveur d'une anoxie aiguë ou subaiguë. Le bilan MFIU réalisé lors de l’accouchement ne retrouve rien de particulier.

Méthodologie et analyse

L'équipe médicale a souhaité une analyse de cet EIG dans le cadre d'une démarche de gestion des risques. Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable dans le dossier médical de la patiente et auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge.
La méthode ALARM est retenue.

Cause immédiate

Défaut de surveillance adéquate ayant conduit à la découverte tardive d'un diagnostic de mort fœtale in utero (MFIU).

Causes profondes

 

Barrières de défense

Il est important de mettre en évidence les barrières de défense qui ont été déficientes.

Pistes de réflexion et d'amélioration

  • Le sénior de garde doit rencontrer en personne les couples qui en font la demande ou lorsqu'ils demandent une prise en charge différente de celle appliquée par l'équipe.
  • Création d'un livret informatif sur les méthodes de déclenchement à destination des patientes (information écrite + orale).
  • Rappel fait aux équipes sur la fréquence et les indications de réalisation de monitoring chez les patientes hospitalisées "en attente" (maturations, rupture prématurée des membranes etc.).

Conclusion

Bien que le risque de MFIU soit plus élevé en cas de grossesse prolongée, les recommandations actuelles en matière de surveillance de terme édictées par le CNGOF ont été appliquées dans notre cas. Toutefois, il existe un défaut de surveillance lors de la maturation jusqu'à la découverte de la MFIU. Cependant, il n'est pas possible de savoir si une surveillance dans les 6 à 8 heures suivant la pose du Propess® aurait évité la survenue de la mort fœtale et/ou si la découverte d'anomalies du rythme cardiaque fœtal, suspectes d'anoxie, suivie d'une action aurait permis la naissance d'un enfant sans séquelles neurologiques.

Dans tous les cas, la réalisation régulière d'un monitoring permettant de vérifier le bien-être fœtal lors de la survenue de contractions douloureuses, d'autant plus dans un contexte de maturation, est un élément essentiel de la surveillance materno-fœtale.