Retard de diagnostic d'une rétention aiguë d'urine après un accouchement : quand la technologie nous induit en erreur

Tout sur la gestion des risques en santé
                et la sécurité du patient

Retard de diagnostic d'une rétention aiguë d'urine après un accouchement : quand la technologie nous induit en erreur

  • Réduire le texte de la page
  • Agrandir le texte de la page
  • Facebook
  • Twitter
  • Messages0
  • Imprimer la page
  • Nouveau-né dans les bras de sa mère à la maternité - La Prévention Médicale

La rétention urinaire du post-partum, dont l’incidence varie de 0,45 % à 0,9 % selon les études, se caractérise par l’incapacité à vider complètement la vessie 6 heures après un accouchement (voie basse ou césarienne), avec un volume vésical supérieur à 400 ml. Une surveillance rapprochée est primordiale afin d'éviter les claquages de vessie, aux conséquences physiques et psychologiques importantes.

Auteur : Candice LHAUTE, Sage-femme / MAJ : 07/05/2024

Présentation du contexte

Mme G est une primigeste de 35 ans. Elle ne présente pas d'antécédents médicaux, chirurgicaux ou familiaux particuliers. Son IMC en début de grossesse est à 28.

Le suivi de grossesse est réalisé en ville jusqu'à 32 SA, puis la maternité prend le relais : les deux derniers mois de grossesse se déroulent sans particularité. Le fœtus est eutrophe, estimé à 3600g à terme, en présentation céphalique. Les bilans de fin de grossesse sont normaux, le prélèvement vaginal revient positif au Streptocoque B à 37 SA.

À 39 SA+3j, Mme G se présente aux urgences de la maternité pour rupture spontanée des membranes à 7 heures : le liquide amniotique est clair, le RCF (rythme cardiaque fœtal) est normal, pas de contractions utérines (CU) captées, le col est long et fermé. La patiente est hospitalisée dans le service après réalisation d'un bilan infectieux qui s'avère négatif. L'antibiothérapie est débutée par Amoxicilline intra veineuse du fait de la présence du Streptocoque B. La patiente est informée de l'expectative durant 24 heures pour mise en travail spontanée, et d'un déclenchement le lendemain dans le cas contraire.

Le lendemain, la patiente ne s'est pas mise spontanément en travail, la sage-femme de la salle de naissance réalise un toucher vaginal ; le col est ouvert à 2 doigts, épais, mou. Un déclenchement par perfusion de Syntocinon est préconisé par le médecin de garde.

2 heures plus tard, du fait de contractions utérines douloureuses, la patiente fait la demande d'une analgésie péridurale : elle est posée en fin de matinée par l'anesthésiste de garde. Le RCF est normal durant toute la journée, l'antibiothérapie est poursuivie et la patiente bénéficie de sondages vésicaux aller-retour toutes les 4 heures.

La dilatation du col est plutôt lente et la patiente est à dilatation complète à minuit.

3 heures plus tard, elle débute les efforts expulsifs sur une présentation engagée partie moyenne.

Au bout de 35 minutes d'efforts expulsifs, la sage-femme appelle le gynécologue de garde afin qu'il réalise une extraction instrumentale pour non progression du fœtus et fatigue maternelle : un forceps de Tarnier est réalisé facilement, permettant la naissance, 10 minutes plus tard, d'une fille de 3700g, Apgar 10/10, pH et lactates au cordon normaux. Il y a une déchirure simple du périnée, suturée par le médecin.

La surveillance des 2 heures post-accouchement est normale, la sage-femme réalise un sondage évacuateur et l'ablation des cathéters de péridurale et veineux avant la remontée de la patiente dans sa chambre. Elle lui donne comme consigne d'appeler les équipes pour le premier lever et/ou la première miction qui devra avoir lieu avant midi.

À 11 heures, la patiente sollicite la sage-femme de maternité pour son premier lever car elle sent qu'elle a envie d'uriner : elle se lève sans encombre mais ne semble pas réussir sa miction ; la sage-femme lui conseille de boire et lui dit qu'elle repassera une heure plus tard.

À midi, la patiente parvient à uriner spontanément en très petite quantité : la sage-femme réalise un Bladderscan pour mesurer le résidu post-mictionnel (RPM) ; il est d'environ 200 cc, un résultat ne nécessitant pas d'action de sa part. La sage-femme repasse dans l'après-midi pour poursuivre la surveillance. La patiente signale alors une EVA à 6, avec une douleur localisée en bas du ventre : la sage-femme lui donne alors 1g de paracétamol et 50 mg de kétoprofène.

Vers 18 heures, la sage-femme repasse dans la chambre de la patiente, qui se plaint d'une EVA à 8 avec une douleur localisée en bas du ventre et sur le périnée : l'examen clinique montre des saignements normaux, un utérus tonique, un périnée propre mais très oedématié et des hémorroïdes. La sage-femme donne alors 40 mg d'Acupan per os et un traitement par crème et suppositoires pour les hémorroïdes.

Elle demande à la patiente si elle a réussi à avoir une meilleure miction : la patiente dit que non car elle avait trop mal. La sage-femme décide alors de réaliser un second Bladderscan : le RPM est le même, environ 200cc.

30 minutes plus tard, la patiente appelle pour une EVA à 9, la douleur étant toujours localisée au bas du ventre. C'est une autre sage-femme qui répond à la sonnette, sa collègue étant occupée : elle décide d'examiner de nouveau la patiente et constate un globe vésical, un utérus tonique mais haut et des lochies physiologiques. Le Bladderscan continue d'afficher un RPM de 200cc.

Elle pratique alors un sondage évacuateur aller-retour de 1500cc d'urines claires, la patiente ressent immédiatement un soulagement. Le médecin de garde est prévenu : il prescrit une surveillance toutes les 4 heures avec mesure systématique du RPM. 

La patiente ne parvient pas à reprendre des mictions spontanées. La sage-femme prenant la relève pour la nuit constate à chaque fois une discordance entre le RPM indiqué par le Bladderscan (200cc) et le volume effectivement sondé (entre 1000 et 1500cc) : elle signale le dysfonctionnement de l'appareil à la cadre le lendemain matin.

72 heures plus tard, la patiente ne retrouve toujours pas de mictions spontanées : le diagnostic de "claquage" vésical est alors posé et il est décidé d'apprendre les auto-sondages à la femme.

Elle regagne son domicile à J7 avec des autosondages et un bilan uro-dynamique à réaliser à distance.

Conséquences

  • Un claquage vésical avec nécessité d'autosondages durant plusieurs mois pour la patiente, une rééducation longue et une récupération qui ne sera peut-être jamais totale.
  • Une durée de séjour allongée.
  • Un retentissement psychique majeur chez cette patiente jeune et en bonne santé dont le quotidien est bouleversé par l'incapacité à évacuer spontanément ses urines.

Méthodologie et analyse

L'équipe médicale et les cadres du service ont souhaité une analyse de cet EI qui aurait potentiellement pu être évité.

Une analyse de risque à postériori est donc réalisée. La méthode ALARM est retenue.

Cause immédiate

défaut d'un dispositif médical de surveillance ayant conduit à un retard de diagnostic d'une rétention aigüe d'urine compliqué d'un claquage de vessie.

Causes profondes

Barrières de défense

Pistes de réflexion et d'amélioration

  • Un rappel est fait aux équipes sur le fonctionnement du Bladderscan ; le protocole de surveillance mictionnelle est modifié pour que le sondage urinaire soit réalisé si le RPM mesuré ne paraît pas cohérent avec la clinique.
  • L’événement indésirable est déclaré auprès du fabricant de l'appareil ; les ingénieurs sont priés de réaliser des visites régulières afin de ré-étalonner l'appareil.
  • Un comparatif des appareils de surveillance mictionnelle de plusieurs marques est lancé afin de changer pour un appareil plus fiable.

Conclusion

La rétention urinaire du post-partum est une complication peu fréquente qu’il importe toutefois de reconnaître car un diagnostic précoce permet d’éviter des lésions vésicales surajoutées. Il convient d’être attentif aux facteurs de risque lors de la surveillance de l'accouchée dans le service (âge, primiparité, travail long, extraction instrumentale etc..). Les outils para cliniques de surveillance sont une aide précieuse pour faciliter et améliorer les prises en charge : cependant les professionnels ne doivent jamais oublier que leur sens clinique doit primer sur la machine qui peut dysfonctionner.