Un service de pédiatrie accueille Jessica, 4 mois, pour une bronchiolite sévère...
L’hospitalisation est décidée après un passage aux urgences pédiatriques, car le tableau clinique inquiète le pédiatre :
- Dyspnée avec polypnée,
- Distension thoracique avec signes de lutte,
- Sueurs et cyanose,
- Tachycardie,
- Température à 39°3,
- A l’auscultation pulmonaire on retrouve des crépitants, voire des râles bronchiques,
- L’enfant s’alimente très mal depuis 24 heures.
La radiographie pulmonaire montre une opacité diffuse de la trame pulmonaire, une augmentation de la taille des espaces intercostaux et un abaissement des coupoles diaphragmatiques.
La saturation en oxygène est à 92% en air ambiant.
L’hospitalisation est décidée, en accord avec les parents, et le traitement prescrit correspond au protocole du service :
- Surveillance clinique rapprochée,
- Désobstruction nasopharyngée,
- Oxygénothérapie si besoin en fonction de la saturation,
- Aérosol de corticoïdes,
- Kinésithérapie.
Nous sommes au 7° jour d’hospitalisation : l’évolution de l’état de santé est favorable, et le tableau clinique s’est amélioré.
Le traitement médicamenteux prescrit retient la VENTOLINE en bouffée 4 fois par jour et la poursuite de la kinésithérapie.
L’infirmière de nuit (IDE1), appelée par la maman, dispense le traitement du soir, avant l’endormissement de l’enfant : VENTOLINE* et FLIXOTIDE* : la mère laisse le soin se réaliser, et questionne la soignante sur le deuxième médicament, à savoir le FLIXOTIDE*. L’infirmière s’aperçoit alors que ce médicament n’est pas prescrit. Elle prévient le pédiatre de garde qui vient rassurer la maman. La nuit se termine sans autre incident.
Le lendemain, 8° jour d’hospitalisation : le traitement est modifié : la VENTOLINE* est maintenue et FLIXOTIDE* est rajouté.
L’infirmière de nuit (IDE2), appelée lors des transmissions par la maman, administre le traitement avant le coucher : VENTOLINE* et BECOTIDE*. La mère s’aperçoit de l’erreur (BECOTIDE* au lieu de FLIXOTIDE*) et devient très agressive avec la soignante. Le pédiatre est prévenu, mais occupé aux Urgences ne peut venir voir la maman immédiatement.
Le lendemain, les parents demandent à voir les responsables du service pour manifester leur grand mécontentement. Le chef de service les reçoit et leur donne toutes les réponses à leurs questions.
Le cadre de santé du service de Pédiatrie alerte la Direction des Soins sur cette double erreur d’administration, et précise que les parents veulent rencontrer un responsable. Cette demande est faite alors qu’ils ont déjà été reçus par le chef de service du secteur : il a bien été précisé que les médicaments administrés étaient de la même famille thérapeutique, et qu’il n’y avait aucune conséquence à redouter.
Malgré cela, les parents ont formulé le souhait de rencontrer le responsable des équipes paramédicales. Le choix est alors fait de recevoir les soignants avant la famille pour comprendre les éléments du contexte ayant amené à cette situation.
Une analyse a posteriori est donc réalisée, selon la méthode ALARM.
Pour cette analyse, les éléments contributifs aux causes de ces incidents sont recherchés.
Facteurs liés au patient
Cette enfant ne présente aucun antécédent, c’est son premier séjour hospitalier.
Au moment des incidents, cette petite patiente présentait un tableau clinique très sensiblement amélioré, et son état de santé n’appelait plus à une quelconque inquiétude.
Les parents étaient très présents au cours de cette hospitalisation, et les relations avec les équipes soignantes étaient très difficiles, surtout en fin de séjour. Les paramédicaux (équipes jour et nuit) décrivent une mère omniprésente, toujours dans le questionnement, au plus près des professionnels de santé lors de la réalisation des soins.
Facteurs liés aux tâches à accomplir
Cette prise en charge n’appelle pas de commentaires particuliers. Cette enfant a bénéficié d’une démarche thérapeutique dans le cadre d’un protocole d’une pathologie prise en charge dans le service couramment. Ce protocole est connu de tous les acteurs du service, sans exception et mis en œuvre chaque fois qu’il est prescrit par les équipes paramédicales. Il est construit selon 3 phases dans l’évolution de la pathologie. La petite patiente était dans la phase de consolidation d’un état clinique satisfaisant, puisque sa sortie était prévue au 9° jour.
Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué)
Chaque professionnel de santé connaissait très bien cette pathologie et son protocole thérapeutique. Plusieurs dizaines de cas ont été pris en charge depuis le début de l’épidémie.
Les équipes décrivent une mère très suspicieuse, toujours dans le questionnement, avec des remarques discourtoises, qui formule des critiques sur les équipes descendantes (de façon indifférenciée, jour/nuit).
Ces paramédicaux expliquent qu’ils sont dans un stress permanent dès qu’ils doivent prendre en charge cette enfant.
Facteurs liés à l’équipe
Les entretiens menés dans cette équipe ne révèlent aucun problème relationnel entre les acteurs, tant médicaux que paramédicaux. Le dialogue entre chaque professionnel est la règle et les échanges entre métiers sont considérés comme le socle d’une prise en charge efficace.
Les équipes expliquent que le temps passé auprès de cette enfant et de cette maman était très important, en tout cas beaucoup plus que pour la plupart des autres petits patients qui présentent la même pathologie pour un tableau clinique plus grave.
Les tâches des soignants sont réparties selon la réglementation.
Facteurs liés à l’environnement de travail
Elément important également à retenir : la mise en place du dossier patient informatisé (DPI) était récente au moment de ces événements (4 semaines de déploiement). Tous les utilisateurs avaient suivi la formation ad ’hoc pour une utilisation sécurisée, mais pas encore en routine, et donc forcément encore chronophage.
Les effectifs paramédicaux étaient en adéquation par rapport au schéma d’organisation validé par l’institution (compétences). Aucune absence n’était à signaler.
La charge de travail est décrite comme lourde, et confirmée par les quelques indicateurs mis en place (fourchette haute atteinte, au-delà de laquelle un renfort aurait été décidé). Pour exemple, 19 enfants hospitalisés pour 19 lits possibles, avec 15 cas de bronchiolites, dont 10 entrées depuis moins de 48 heures, avec un volume de soins importants du fait des tableaux cliniques instables pour plusieurs d’entre eux.
Facteurs liés à l’organisation et au management
Les infirmières concernées par ces incidents sont des infirmières confirmées dans leur exercice professionnel, avec des compétences évaluées par le cadre du service, très présent dans son management de proximité.
La formation et l’intégration des nouveaux arrivants sont réalisées selon une procédure respectée sans aucune dérogation. Chaque professionnel est confirmé dans son poste après une évaluation.
Facteurs liés au contexte institutionnel
Chaque incident est signalé dans le cadre d’une politique institutionnelle, et particulièrement suivi dans ce secteur. Le suivi des déclarations d’événements indésirables de même classe ne montre pas une augmentation de ce type d’incidents.
- Une double erreur d’administration sans aucune conséquence pour la petite patiente, faite par deux professionnelles différentes.
- Des procédures connues par le service, une prescription non respectée à 2 reprises.
- Le déploiement du dossier patient informatisé récent, avec une utilisation sécurisée, mais pas encore en routine.
- Une maman omniprésente, qui est dans la volonté de contrôler les faits et gestes des soignants. Le climat entre famille et professionnels de santé n’est pas propice à une ambiance de travail sereine, et une pression constante sur les acteurs de santé du service.
Les échanges avec les professionnels directement concernés par ces événements ont permis de mieux comprendre cette problématique :
- La 1ère nuit (J7) : pressée par la maman qui voulait que sa fille puisse bénéficier de son traitement rapidement pour l’endormir, l’infirmière a vérifié la prescription sur son écran d’ordinateur, mais s’aperçoit après coup qu’elle n’a pas réalisé avec attention les concordances d’identité (nouvel outil). Elle s’est trompée de ligne sur son plan de soins, et a administré le traitement d’un autre enfant, qui présentait la même pathologie. Pour cet incident : réponse inadaptée à une demande maternelle et problème d’identitovigilance.
- La 2ème nuit (J8) : également pressée par la maman (8 sonnettes pendant les 20 minutes de transmissions), l’infirmière a voulu dispenser les soins immédiatement pour donner satisfaction à cette maman, et ainsi débuter son tour de soins avec plus de sérénité, car elle craignait d’être dérangée lors de la réalisation d’un soin pour un autre enfant (fait signalé à plusieurs reprises dans les transmissions des collègues). L’erreur entre BECOTIDE* et FLIXOTIDE* est expliquée par un mauvais rangement du BECOTIDE* et une précipitation dans la réalisation du soin (absence de contrôle pour des médicaments avec une forme de contenant similaire, mais une couleur différente).
Ces 2 professionnelles ont reconnu que le comportement de cette famille les a déstabilisées dans leur pratique professionnelle. Elles sont catastrophées d’être à l’origine de ces erreurs, et mesurent la gravité potentielle avec d’autres médicaments.
A la lumière des éléments transmis par les professionnelles concernées par ces événements, il apparaît que le relationnel très difficile avec cette maman, soit le point de départ de ces 2 événements.
Cette analyse a postériori a été réalisée dans les 48h qui ont suivi ces incidents, afin de mettre en œuvre rapidement les pistes de réflexions suivantes :
Ouvrir l’hôpital aux familles est une nécessité, surtout pour les enfants. Mais il faut organiser leur présence et déterminer la place qu’ils doivent occuper pour aider les équipes soignantes au quotidien, sans générer de dysfonctionnements dans les process.
Cet exemple, là encore, doit nous faire réfléchir sur les biais cognitifs propres à l’esprit humain. Les situations de stress pour les professionnels de santé sont propices aux erreurs individuelles, et nous devons les prendre en compte pour sécuriser les prises en charge, dans des organisations complexes.
L’environnement de l’enfant hospitalisé doit être parfaitement organisé, et surtout dans le contexte de la pédiatrie où l’accueil des parents est culturel pour les professionnels de santé. Mais n’occultons pas la problématique d’une cohabitation difficile entre 2 mondes différents : l’intimité des familles et la nécessaire ambiance technique pour les soins.
La réflexion de la place des parents dans un secteur de soins est indispensable pour améliorer les ambiances de travail, cette réflexion devant être impérativement collective.