Le bloc opératoire est réputé pour être un système complexe. La coordination se doit d’être efficace entre les professionnels de santé pour éviter tout événement indésirable. Cette coordination commence dès le début du process chirurgical, à savoir la consultation auprès du chirurgien. La qualité du recueil des informations liées au patient demande de la rigueur et des canaux de communication fiabilisés pour proposer une prise en charge sécure.
Mme H. accompagne sa fille de 5 ans pour une consultation spécialisée auprès d’un ORL pour des infections à répétition… Cette petite fille a fait 6 otites en 18 mois, et plus précisément 4 sur les 7 derniers mois… Le médecin généraliste a recommandé aux parents de consulter auprès d’un ORL pour un examen et un avis sur une potentielle intervention chirurgicale pour mieux contrôler les épisodes infectieux.
Le courrier d’adressage du médecin traitant précise que l’enfant sort d’un nouvel épisode infectieux bactérien qui a dû être traité par antibiotiques.
Le praticien réalise un examen de l’enfant. Le bilan objective :
Le chirurgien propose de réaliser une amygdalectomie associée à une adénoïdectomie avec pose d’aérateurs transtympaniques, il pense que cette stratégie permettra de juguler les épisodes infectieux.
Les parents demandent de ne pas procéder à l’amygdalectomie et de réaliser uniquement l’adénoïdectomie avec pose d’aérateurs transtympaniques. La raison en est que ces organes (amygdales) constituent la première défense du système immunitaire. Il est convenu de faire une amygdalectomie secondairement si les épisodes infectieux perdurent. Le chirurgien enregistre la décision dans son dossier patient, après en avoir expliqué les impacts potentiels. Il propose une date pour l’intervention chirurgicale. Les parents acceptent le calendrier proposé et prennent rendez-vous pour une consultation d’anesthésie.
La consultation d’anesthésie ne relève aucune contre-indication à la réalisation d’une anesthésie générale. La pré-admission est faite conformément à la demande du chirurgien. Le parcours de soins retenu est ambulatoire.
La veille de l’intervention, l’appel de l’établissement de santé permet d’objectiver un nouvel épisode infectieux. Le chirurgien est prévenu et préconise un report de l’intervention dans deux semaines. Il conseille aux parents de revoir leur médecin traitant pour initier potentiellement un traitement pour juguler ce tableau clinique. L’intervention de l’enfant est donc reprogrammée, 2 semaines plus tard, par le service de Régulation des admissions.
Deux semaines plus tard, une IDE du secteur Ambulatoire prévient le service Régulation pour alerter sur le fait qu’un enfant qui doit bénéficier d’une amygdalectomie est prévue en ambulatoire, alors que cette typologie d’intervention est habituellement hospitalisée en conventionnelle. En effet, l’organisation de la structure de soins veut qu’une amygdalectomie passe une nuit en hospitalisation pour surveillance.
Après vérification, on s’aperçoit que le précédent intitulé ne prévoyait pas une amygdalectomie. La modification du programme est donc faite, et le service Régulation précise qu’il va prévenir la Cellule de bloc. Le lendemain, la fillette est prise en charge au bloc opératoire. Les différentes étapes de son parcours s’enchaînent. L’intervention est réalisée sans difficulté. Elle sort de la Salle de Surveillance Post-Interventionnelle deux heures plus tard.
Le médecin anesthésiste passe voir les parents en début d’après-midi et leur précise que l’intervention s’est très bien passée et que l’ablation des amygdales n’a pas posé de problème particulier. Le père précise alors que l’amygdalectomie n’était pas prévue.
L’enfant est transférée en secteur d’hospitalisation conventionnelle pour surveillance la nuit. Les suites opératoires ont été simples et la famille a pu regagner son domicile en fin de deuxième journée d’hospitalisation.
Cette erreur d’intervention n’a pas engagé le pronostic vital de l’enfant, mais cet Événement Indésirable est considéré comme Grave (EIG). Les conséquences pour l’enfant et ses parents :
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé (médico-soignants et administratifs) qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents tracés dans le dossier patient informatisé.
C’est l’annonce aux parents de la typologie de l’acte chirurgical réalisé qui a permis de détecter l’erreur.
Malgré cet EIG, les conséquences pour la jeune patiente sont médicalement maîtrisées :
Néanmoins, on peut relever :
Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
C’est en équipe que cette prise de conscience doit se faire pour trouver ensemble les solutions pour les minimiser.
Les organisations établies peuvent être mises en difficulté par un déficit de ressources humaines. Les modes dégradés induisent très souvent des difficultés de fonctionnement.
Ce constat se pose pour tout type d’organisations et doit, chaque fois qu’il est rencontré, permettre la mise en place de barrières de sécurité adaptées.
Si les solutions ne sont pas trouvées, certaines modalités organisationnelles doivent être mises en œuvre pour des pratiques plus sécures (cf. interruptions de tâches).
La Haute Autorité de Santé a publié des recommandations sur cette thématique pour les erreurs médicamenteuses. Les fondamentaux exposés dans ces publications posent les bases à prendre en compte pour construire un plan de prévention adapté pour chaque contexte de travail.
Une réflexion sur l’architecture du système d’information est décidée :
L’analyse de cet événement indésirable montre que l’utilisation de la check-list sécurité patient au bloc opératoire aurait permis de bloquer l’erreur.
Les professionnels de santé, qui pensent que certains outils de prévention sont inutiles doivent prendre le temps de mesurer la valeur ajoutée d’un temps d’échanges entre collègues et ainsi s’approprier l’impact du facteur humain dans la réalisation des process de soins.
Dans l’aéronautique, cela fait près de 40 années que les professionnels se sont approprié cette thématique de sécurité. Leurs retours d’expériences sont riches et le niveau de sécurité atteint doit nous questionner.
La communication entre les différents acteurs de santé doit être optimale, et le système d’information doit être fiable et efficace.
Pour ce faire, et dans l’idéal, ce système d’information doit s’adapter aux organisations de travail sécurisées et non l’inverse. Ce concept doit être un postulat à en prendre en compte, sinon les temps d’apprentissage seront forcément plus lents et donc généreront des vulnérabilités.
A l’inverse, l’apport de l’informatique peut permettre de mieux structurer les vulnérabilités organisationnelles identifiées et ainsi gommer certains défauts porteurs de risques.
La recherche d’équilibre prenant en compte ces 2 approches ne peut se faire qu’à partir d’une analyse approfondie des processus mis en place (démarche de prévention des risques a priori).
Pour aller plus loin
Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments - HAS >
Présentation de la check-list au bloc opératoire - HAS >
À lire aussi
Erreur médicamenteuse au bloc, conséquence d'une interruption de tâche >
Les risques en chirurgie : jusqu'où peut-on apprendre de l'aviation ? >
Erreur de côté en anesthésie >