Erreur d'intervention chirurgicale au bloc opératoire

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Erreur d'intervention chirurgicale au bloc opératoire

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  • Le médecin ausculte l'oreille d'une enfant de 5 ans - La Prévention Médicale

Le bloc opératoire est réputé pour être un système complexe. La coordination se doit d’être efficace entre les professionnels de santé pour éviter tout événement indésirable. Cette coordination commence dès le début du process chirurgical, à savoir la consultation auprès du chirurgien. La qualité du recueil des informations liées au patient demande de la rigueur et des canaux de communication fiabilisés pour proposer une prise en charge sécure.

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 07/03/2024

Présentation du contexte

Mme H. accompagne sa fille de 5 ans pour une consultation spécialisée auprès d’un ORL pour des infections à répétition… Cette petite fille a fait 6 otites en 18 mois, et plus précisément 4 sur les 7 derniers mois… Le médecin généraliste a recommandé aux parents de consulter auprès d’un ORL pour un examen et un avis sur une potentielle intervention chirurgicale pour mieux contrôler les épisodes infectieux.

Le courrier d’adressage du médecin traitant précise que l’enfant sort d’un nouvel épisode infectieux bactérien qui a dû être traité par antibiotiques. 

Le praticien réalise un examen de l’enfant. Le bilan objective :

  • un écoulement nasal modéré ;
  • une otite séreuse bilatérale, avec un aspect plus marqué à gauche avec des tympans mats et bombés ;
  • l’enfant ne déclare pas avoir mal aux oreilles, mais lorsqu’elle s’exprime, elle parle un peu fort ;
  • l’audiométrie avec tympanogramme réalisée avec l’accord de la maman objective une perte auditive bilatérale, plus marquée à gauche ;
  • la mère précise que sa fille peut ronfler certaines nuits… en respirant par la bouche, sans pause respiratoire, pas d’énurésie ;
  • elle explique que la fillette a quelques difficultés au réveil (met quelques minutes pour se réveiller…), peut être parfois fatiguée, mais pas de céphalée signalée, et l’appétit est conservé au petit déjeuner ;
  • l’examen de l’oropharynx objective des amygdales hypertrophiées, que le praticien apprécie avec un score de 3 dans la classification de Friedman… Quelques cryptes sont observées sans processus infectieux et la maman précise que sa fille a fait peu d’angines ;
  • le développement staturo-pondéral de l’enfant est dans les limites de la normale.

Le chirurgien propose de réaliser une amygdalectomie associée à une adénoïdectomie avec pose d’aérateurs transtympaniques, il pense que cette stratégie permettra de juguler les épisodes infectieux.

Les parents demandent de ne pas procéder à l’amygdalectomie et de réaliser uniquement l’adénoïdectomie avec pose d’aérateurs transtympaniques. La raison en est que ces organes (amygdales) constituent la première défense du système immunitaire. Il est convenu de faire une amygdalectomie secondairement si les épisodes infectieux perdurent. Le chirurgien enregistre la décision dans son dossier patient, après en avoir expliqué les impacts potentiels. Il propose une date pour l’intervention chirurgicale. Les parents acceptent le calendrier proposé et prennent rendez-vous pour une consultation d’anesthésie.

La consultation d’anesthésie ne relève aucune contre-indication à la réalisation d’une anesthésie générale. La pré-admission est faite conformément à la demande du chirurgien. Le parcours de soins retenu est ambulatoire.

La veille de l’intervention, l’appel de l’établissement de santé permet d’objectiver un nouvel épisode infectieux. Le chirurgien est prévenu et préconise un report de l’intervention dans deux semaines. Il conseille aux parents de revoir leur médecin traitant pour initier potentiellement un traitement pour juguler ce tableau clinique. L’intervention de l’enfant est donc reprogrammée, 2 semaines plus tard, par le service de Régulation des admissions.

Deux semaines plus tard, une IDE du secteur Ambulatoire prévient le service Régulation pour alerter sur le fait qu’un enfant qui doit bénéficier d’une amygdalectomie est prévue en ambulatoire, alors que cette typologie d’intervention est habituellement hospitalisée en conventionnelle. En effet, l’organisation de la structure de soins veut qu’une amygdalectomie passe une nuit en hospitalisation pour surveillance.

Après vérification, on s’aperçoit que le précédent intitulé ne prévoyait pas une amygdalectomie. La modification du programme est donc faite, et le service Régulation précise qu’il va prévenir la Cellule de bloc. Le lendemain, la fillette est prise en charge au bloc opératoire. Les différentes étapes de son parcours s’enchaînent. L’intervention est réalisée sans difficulté. Elle sort de la Salle de Surveillance Post-Interventionnelle deux heures plus tard. 

Le médecin anesthésiste passe voir les parents en début d’après-midi et leur précise que l’intervention s’est très bien passée et que l’ablation des amygdales n’a pas posé de problème particulier. Le père précise alors que l’amygdalectomie n’était pas prévue. 

L’enfant est transférée en secteur d’hospitalisation conventionnelle pour surveillance la nuit. Les suites opératoires ont été simples et la famille a pu regagner son domicile en fin de deuxième journée d’hospitalisation. 

Conséquences

Cette erreur d’intervention n’a pas engagé le pronostic vital de l’enfant, mais cet Événement Indésirable est considéré comme Grave (EIG). Les conséquences pour l’enfant et ses parents :

  • Une hospitalisation en secteur conventionnel non programmée (2 jours - 1 nuit) avec des solutions difficiles à trouver en termes de gestion de lits. 
  • Des parents très mécontents de cet incident et qui souhaitent déposer une plainte pénale pour mise en danger de la vie d’autrui. 
  • Une équipe médico-chirurgicale très impactée par cet EIG qui aurait pu être beaucoup plus grave pour l’enfant. 
  • Cette équipe a déclaré l’EIG et demandé une analyse pour en comprendre la genèse. 

Méthodologie et analyse

  • Cette erreur d’intervention n’a pas généré de complications postopératoires, et les suites ont été chirurgicalement simples. Mais elle est difficile à accepter par les professionnels de santé impactés par cet EIG. Ces derniers ressentent un fort sentiment de culpabilité.
  • Devant ces éléments et le fort mécontentement des parents qui demandent des explications sur les raisons d’un tel dysfonctionnement, la Direction Générale valide le principe d’une analyse de cet EIG. Elle demande l’aide de la Structure Régionale d’Appui pour le plus d’objectivité possible par rapport aux demandes de la famille.
  • L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé (médico-soignants et administratifs) qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents tracés dans le dossier patient informatisé.

Cause immédiate

C’est l’annonce aux parents de la typologie de l’acte chirurgical réalisé qui a permis de détecter l’erreur.

Causes profondes

 

Malgré cet EIG, les conséquences pour la jeune patiente sont médicalement maîtrisées :

  • Les suites opératoires sont simples.
  • À aucun moment son pronostic vital n’a été menacé.

Néanmoins, on peut relever :

  • Une grosse inquiétude des parents de la fillette sur le moment et un fort mécontentement exprimé oralement et dans un courrier envoyé à la Direction Générale de la structure de soins.
  • Une place en hospitalisation conventionnelle difficile à trouver car tous les lits étaient occupés. Une place a été trouvée avec le transfert d’un patient plus lourd en Unité de Surveillance Continue (USC), générant une charge de travail supplémentaire.
  • Une culpabilité de l’ensemble des professionnels du bloc opératoire qui ont participé à la prise en charge de la fillette et de l’agent administratif du bureau des admissions.

Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.  

Barrières de défense

Les pistes de réflexion et/ou d’amélioration

Réflexions sur les interruptions de tâches

  • Les interruptions de tâches (IT) sont une thématique reconnue comme essentielle par la Haute Autorité de Santé dans l’approche sécuritaire des actes des professionnelles de santé.
  • Les professionnels de santé perçoivent l’IT comme une normalité dans le quotidien professionnel. Quelle que soit la source de ces IT, elles affectent l’attention, peuvent générer du stress, et des erreurs de toutes sortes, administratives entre autres.

C’est en équipe que cette prise de conscience doit se faire pour trouver ensemble les solutions pour les minimiser.

Réflexions sur la charge de travail

Les organisations établies peuvent être mises en difficulté par un déficit de ressources humaines. Les modes dégradés induisent très souvent des difficultés de fonctionnement.

Ce constat se pose pour tout type d’organisations et doit, chaque fois qu’il est rencontré, permettre la mise en place de barrières de sécurité adaptées.

Si les solutions ne sont pas trouvées, certaines modalités organisationnelles doivent être mises en œuvre pour des pratiques plus sécures (cf. interruptions de tâches).

La Haute Autorité de Santé a publié des recommandations sur cette thématique pour les erreurs médicamenteuses. Les fondamentaux exposés dans ces publications posent les bases à prendre en compte pour construire un plan de prévention adapté pour chaque contexte de travail.

Réflexions sur la maturité du système d’information et son architecture

Une réflexion sur l’architecture du système d’information est décidée :

  • Identification des situations à risques en lien avec l’utilisation des différentes solutions logicielles installées.
  • Identification des défauts de paramétrages des solutions logicielles qui compliquent le travail au quotidien, dans l’objectif de supprimer toutes saisies multiples d’une donnée identique.
  • Identification des passerelles manquantes entre solutions logicielles installées.
  • Refonte de l’architecture du système d’information avec des groupes de travail composés de professionnels de terrain : évolution des applications logicielles, développement des passerelles manquantes, simplification des process.

Réflexions sur l’utilisation des outils de prévention : la check-list au bloc opératoire par exemple

L’analyse de cet événement indésirable montre que l’utilisation de la check-list sécurité patient au bloc opératoire aurait permis de bloquer l’erreur.

Les professionnels de santé, qui pensent que certains outils de prévention sont inutiles doivent prendre le temps de mesurer la valeur ajoutée d’un temps d’échanges entre collègues et ainsi s’approprier l’impact du facteur humain dans la réalisation des process de soins.

Dans l’aéronautique, cela fait près de 40 années que les professionnels se sont approprié cette thématique de sécurité. Leurs retours d’expériences sont riches et le niveau de sécurité atteint doit nous questionner.

Conclusion

La communication entre les différents acteurs de santé doit être optimale, et le système d’information doit être fiable et efficace.

Pour ce faire, et dans l’idéal, ce système d’information doit s’adapter aux organisations de travail sécurisées et non l’inverse. Ce concept doit être un postulat à en prendre en compte, sinon les temps d’apprentissage seront forcément plus lents et donc généreront des vulnérabilités.

A l’inverse, l’apport de l’informatique peut permettre de mieux structurer les vulnérabilités organisationnelles identifiées et ainsi gommer certains défauts porteurs de risques.

La recherche d’équilibre prenant en compte ces 2 approches ne peut se faire qu’à partir d’une analyse approfondie des processus mis en place (démarche de prévention des risques a priori). 

Pour aller plus loin

Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments - HAS >
Présentation de la check-list au bloc opératoire - HAS >

Crédit photo : Bruno/Image/point FR/BSIP