Les erreurs médicamenteuses représentent près du tiers des Événements Indésirables Graves liès aux soins en France. Quel que soit le secteur de soins, les prendre en compte, les analyser, et construire les barrières de sécurité reste une démarche de prévention des risques, nécessaire pour garantir une sécurité des soins optimale. Les facteurs ayant contribué à générer cet EIG doivent être partagés avec tous les acteurs de soins pour éviter qu’il ne se répète...
En ce mois de janvier, un début d’épidémie de gastro-entérite est objectivé dans un Établissement d’Hébergement de Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) : 14 résidents présentent un tableau clinique typique, sur 102 au total. Les consignes du médecin coordinateur consistent à isoler les résidents présentant les signes cliniques de la maladie. Dans l’organisation de ces isolements, les malades doivent rester en chambre, prise des repas comprise.
Parmi les résidents isolés, on recense notamment :
Ce sont les Agents de Restauration (AR) des cuisines qui préparent les plateaux repas destinés aux résidents isolés. Ils sont installés sur un chariot à 2 niveaux, permettant de transporter jusqu’à 4 plateaux repas… Ce sont les Agents de Services Hospitaliers (ASH), aidés des Aides-Soignantes (AS), qui apportent les repas aux résidents.
Dans l’organisation habituelle, les infirmières préparent les sachets de médicaments pour le repas du soir : ces sachets sont identifiés au nom du patient, et sont distribués par les AS…
En ce samedi, une fois les médicaments distribués dans la salle à manger du restaurant de l’EHPAD, on vérifie que les sachets restants correspondent aux résidents prenant leur repas en chambre…
Les sachets nominatifs des médicaments sont posés sur les plateaux repas correspondants…
La distribution de ces plateaux en chambre est réalisée par une étudiante infirmière qui termine sa journée de stage, une AS et une ASH.
L’étudiante infirmière apporte le plateau repas à Mme J. et trouve, sur ce dernier, 2 sachets de médicaments. Elle contrôle l’identité mentionnée sur les sachets, constate le nom de Mme J. et donne l’intégralité des médicaments.
L’AS apporte le plateau de Mme L. et ne trouve pas le sachet de médicaments qui lui est habituellement associé. Elle cherche en salle de soins, mais ne le trouve toujours pas.
Elle appelle l’IDE qui a préparé les médicaments. Elle lui demande si elle a le souvenir d’avoir préparé les médicaments de Mme L. et lui explique la situation. L’IDE se souvient d’avoir préparé les médicaments.
L’AS demande alors à l’étudiante infirmière si elle a constaté un élément anormal lors de la distribution des plateaux. Cette dernière raconte avoir trouvé 2 sachets sur le plateau de la résidente. En consultant les 2 dossiers, elles comprennent alors que le traitement des 2 patientes a été délivré à Mme J.
Le médecin coordinateur de l’EHPAD est prévenu, et devant l’addition des traitements administrés, il demande que Mme J. soit transférée aux Urgences pour surveillance, en accord avec le médecin urgentiste qu’il a eu au téléphone. La situation est expliquée à la résidente, qui en accepte le principe. Il convient de préciser qu’elle n’a aucun trouble cognitif et qu’elle a compris la problématique. Le médecin coordinateur prévient également le fils de Mme J., qui manifeste son mécontentement. Il précise qu’il va rejoindre sa mère aux Urgences dès que possible.
A son arrivée aux Urgences, Mme J. est installée au secteur Porte des urgences ou Unité d’Hospitalisation de Très Courte Durée (UHTCD). Dès son installation en chambre, le médecin urgentiste et l’IDE lui réexpliquent le contexte. Un monitorage est installé pour un contrôle des paramètres vitaux, et plus précisément la fonction cardio-vasculaire et la fonction respiratoire. Son fils la rejoint aux Urgences et demande à rester à ses côtés pour la nuit, demande qui sera acceptée par l’équipe soignante.
Dans l’heure qui suit son arrivée, Mme J. présente une somnolence avec un score de sédation à 2 (patiente somnolente, stimulable tactilement). Une oxygénothérapie à la lunette nasale est débutée.
Puis elle présente une baisse de tension modérée à 105 mm de Hg pour la systolique, et 60 mm de Hg pour la diastolique. Une voie veineuse est posée pour la nuit dans l’hypothèse de l’administration d’un traitement intraveineux.
Hormis ces éléments, la patiente retrouve un état de conscience avec un score de sédation à 0 (pas de sédation, patiente bien éveillée) et une tension habituelle à 135/85 mm de Hg.
Elle quitte le service des Urgences un peu avant midi pour rejoindre sa résidence.
Cette erreur médicamenteuse, classée comme Événement Indésirable Grave, aura eu comme conséquences :
Même si cette erreur médicamenteuse a été atténuée par une excellente réactivité des professionnels présents, elle a été difficile à gérer par l’équipe soignante, et surtout l’étudiante IDE.
De plus, l’annonce de cet événement indésirable au sein de l’équipe a généré de nombreuses réactions. Certaines professionnelles ont pris conscience que cela aurait pu les impacter de la même façon.
Devant les réactions de l’équipe soignante de l’unité, la responsable des soins a sollicité la Structure Régionale d’Appui pour organiser une analyse de l’incident et comprendre les raisons d’une telle erreur.
L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter qu’il se renouvelle dans l’avenir. Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.
C’est l’absence du sachet de médicaments de Mme L. qui a alerté l’équipe, qui a bien réagi en cherchant le sachet de médicaments introuvable.
Les conséquences de cet Événement Indésirable Grave (EIG) pour la patiente ont été médicalement maîtrisées :
Néanmoins, on recense :
Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Les interruptions de tâches (IT) représentent une thématique reconnue comme essentielle par la Haute Autorité de Santé dans l’approche sécuritaire du circuit du médicament.
Les professionnels de santé perçoivent les IT comme une normalité dans le quotidien professionnel. Quelle qu’en soit la source, elles affectent l’attention, peuvent générer du stress, et des erreurs de toutes sortes, et particulièrement des erreurs médicamenteuses.
C’est en équipe que cette prise de conscience doit se faire, et ensemble trouver les solutions pour les minimiser.
Le calcul des charges de travail doit permettre de prendre en compte les imprévus, présents au quotidien. Ces imprévus, lorsqu’ils surviennent, sont sources d’IT, mais surtout de stress au vu des retards qu’ils peuvent générer…
Réfléchir à une meilleure répartition des tâches, en fonction des compétences des différents métiers, reste la solution à privilégier lorsque l’on rencontre des difficultés de recrutement.
L’accueil des étudiants doit intégrer une thématique sécurité des soins avec une revue des EI recensés durant les 12 derniers mois. Le contenu de ces informations doit être mis à jour. Le partage de ces expériences servira également à tous les membres de l’équipe.
Connaître les EI au sein de la structure doit permettre de mettre en place des barrières de récupération…
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